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Ch. bénard. — l’esthétique du laid

La face du problème se trouve ainsi échangée ; aussi est-il à croire que toute son importance sera reconnue. Sans doute, il en est ainsi. Mais toutefois, ce qui préoccupe l’auteur de ce système, c’est bien plus l’accord nécessaire des deux termes que leur opposition. Ce qu’il cherche avant tout à montrer, c’est leur harmonie, leur identité[1]. Tel nous apparaît le problème du beau et de l’art dans Schelling. Le laid (la négation, la différence) le frappe peu’, l’affirmation est ce qu’il a à cœur de prouver. Il le dit : « Nous devons donc reconnaître que le contraire de la beauté est une simple restriction, une négation. Cette négation ne saurait pénétrer dans une région que la réalité seule habite (celle des idées) et qu’ainsi les idées éternelles de toutes choses sont seules nécessairement belles[2]. »

Schelling, d’ailleurs, ne sort guère de ces généralités, de l’opposition du réel et de l’idéal, etc. Ce qui l’embarrasse et le préoccupe, c’est plutôt le problème moral et théologique du mal (Böse) dont l’accord avec la liberté dans son système forme une antinomie[3]. Toutefois, dans le Discours sur les arts du dessin[4], la solution au problème du laid est déjà annoncée en termes assez clairs en ce qui concerne son apparition dans les œuvres de la nature et dans celles de l’art. Mais les points particuliers de cette théorie sont à peine indiqués.

Il appartenait à l’École hégélienne, de donner à ce problème toute son importance, de le concevoir en lui-même et dans ses vrais rapports avec la science dont il fait partie. ïl devait en être ainsi dans un système qui ne se borne pas à identifier les contraires, mais qui les sépare et les oppose avant de chercher à les concilier. Ici, la négation non-seulement se place à côté de l’affirmation, mais elle s’en distingue et s’oppose avant que l’accord reparaisse. De plus, l’affirmation elle-même n’est pas possible sans elle. Ainsi la distinction d’abord est plus marquée. Le terme négatif, bien qu’inférieur, est nécessaire au terme positif. Il faut partir du non-être pour s’élever à l’être. De plus, l’opposition ne s’efface qu’après avoir été vaincue et surmontée. Dans ce mouvement dialectique, le laid, non-seulement apparaît à côté du beau comme moment, mais il se posé distinctement en face de lui et s’oppose à lui. Il reparaît ainsi à tous les degrés de l’échelle. Le beau ne peut plus marcher qu’accompagné de son contraire. Celui-ci d’abord, comme stimulant (stimulus) qui,

  1. Idéalisme transcendantal, dernière partie.
  2. Bruno, trad. Husson, p. 21.
  3. Phil. Unters. über das Wesen der mens. Freiheit.
  4. V. notre trad. des Écrits phil. de Schelling, p. 268.