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sidérés comme des fragments d’une psychologie ethnographique. Il n’est pas inutile d’insister sur ce point : d’abord c’est notre sujet et puis je crois qu’on s’est généralement mépris sur le sens de ces études, quoique l’auteur ait tout fait pour écarter les contre-sens. En France, dans le pays classique du goût et de la fine critique littéraire, cette façon de considérer l’œuvre d’art comme un objet d’histoire naturelle et de reléguer au second plan l’examen des beautés et des défauts, a beaucoup de peine à pénétrer dans les esprits. Les littérateurs se sont obstinés à voir dans ces monographies des essais de critique littéraire d’un nouveau genre qui a étonné les uns, scandalisé les autres, et qui a été généralement désigné par le nom impropre de « critique physiologique ». De leur côté, nos philosophes étaient bien peu disposés à y voir des études de psychologie concrète. En psychologie, l’école spiritualiste, régnante chez nous, n’a jamais professé pour les faits qu’un amour purement platonique, et quoique plusieurs de ses représentants aient écrit qu’il est bon de tenir compte des manifestations complexes de l’âme humaine, telles qu’elles s’offrent à nous dans la vie, la littérature et l’histoire, en réalité ils se sont toujours contentés d’une psychologie abstraite, réduite à des considérations générales.

Cependant, l’étude de ces manifestations complexes de l’âme humaine s’impose comme une nécessité. Quelque vague et quelque difficile qu’elle soit, elle doit être tentée, si la psychologie veut être positive, si elle veut réellement s’enfoncer dans les faits pour les expliquer et les discipliner sous des lois. Toutes les sciences abstraites ont dû une partie de leurs progrès à la nécessité de sortir du domaine des abstractions pures, pour s’appliquer aux phénomènes et aux cas particuliers. Il en sera de même pour la psychologie.

M. Taine l’a tenté chez nous. Sans doute, il n’est ni le premier ni le seul ; mais sa méthode lui appartient en propre ; nul ne l’avait appliquée avant lui à ce groupe d’études. Je crois qu’aucun historien de la psychologie contemporaine ne me démentira sur ce point. Cette méthode a pour caractère principal de transporter dans la psychologie concrète les procédés de l’anatomie comparée. M. Taine dirait volontiers : que nul n’aborde ce sujet, s’il n’a d’abord fréquenté les naturalistes, s’il n’a étudié leurs œuvres et s’il ne s’est imbu de leur esprit. « On peut, dit-il, considérer l’homme comme un animal d’espèce supérieure, qui produit des philosophies et des poèmes, à peu près comme les vers à soie font leurs cocons et comme les abeilles font leurs ruches. » Si l’on parle en littérateur, on fera admirer l’adresse de ces petites bêtes. Si l’on est moraliste, on les proposera comme un exemple d’activité. Le naturaliste fait autre chose :