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ANALYSES. — bouillier.Du plaisir et de la douleur.

et les poètes mêmes, « tout ce qui a été dit de meilleur ». Est-ce à dire que nous ayons ici affaire à une œuvre de pure érudition ? Non, car ces matériaux sont groupés, coordonnés de manière à « former un seul tout ». D’un côté, ce livre suppose et résume une somme incroyable de recherches ; mais en même temps l’unité dogmatique en est frappante. M. Bouillier appelle en témoignage une multitude d’écrivains de tous les pays et de tous les temps ; il renvoie à des ouvrages de toutes sortes, traités philosophiques, sermons, comédies, récits de voyages, vers et prose ; il insère dans son texte, il accumule dans ses notes d’innombrables citations grecques, latines, françaises, allemandes, anglaises, italiennes : et pourtant il ne résulte de cette infinie variété aucune confusion, point d’embarras pour le lecteur. C’est qu’une idée dominante fait le lien de toutes les idées accessoires, éclaire tout l’ouvrage. On sent que l’auteur a commencé par fixer sa propre pensée, par dégager de toutes ses lectures sa théorie personnelle. S’il en emprunte l’expression et les principales formules là où il les trouve, c’est pour rendre à chacun ce qui lui est dû, et parce qu’il a justement dédaigné, pour la vérité historique, toute affectation d’originalité. L’ouvrage n’en est que plus instructif et y gagne en autorité.

M. Bouillier tout d’abord détermine sa méthode et circonscrit son sujet. Sa méthode est exclusivement psychologique, car le plaisir et la douleur n’étant rien que des états de conscience, on ne saurait les atteindre ni les observer du dehors. Sans doute, ces phénomènes s’accompagnent de certaines modifications organiques et ont une « face objective » si l’on veut, mais toute leur essence est d’être sentie subjectivement. C’est donc à tort et par abus des mots que les physiologistes donnent le nom de sensibilité à l’irritabilité ou contractilité, « c’est-à-dire à une simple propriété des nerfs ou des muscles. » Cela seul appartient à la sensibilité, qui arrive jusqu’à la conscience. — Si M. Bouillier se contentait de cette remarque, il serait difficile de la contester ; mais il y joint, sur l’importante question des rapports de la psychologie et de la physiologie, une dissertation qui ne figurait pas dans sa première édition et qui n’est point sans prêter à la critique. Il a mille fois raison quand il proteste contre la confusion de deux sciences radicalement distinctes ; quand il proclame, par exemple, l’impuissance de la physiologie à découvrir le plaisir et la douleur dans les fibres du cerveau. Il est inattaquable, à plus forte raison, quand il revendique le droit de. restreindre à son gré son champ d’étude et de s’enfermer dans la conscience. Mais de ce que la physiologie est « fort à la mode, » de ce qu’elle « envahit aujourd’hui, en France, en Angleterre et en Allemagne, un certain nombre d’ouvrages sur les facultés, » M. Bouillier semble enclin, plus que de raison, à repousser son concours et à méconnaître les services qu’elle peut rendre à la psychologie. Nous croyons comme lui que la psychologie est et demeurera distincte de cette science plus jeune et doit se défendre au besoin contre ses empiétements ; mais nous ne sommes pas comme