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plus. Bien qu’il fasse nécessairement beaucoup d’emprunts à la psychologie animale et qu’il ait travaillé en échangé à élucider plusieurs de ses problèmes, son œuvre appartient essentiellement et avant tout à la sociologie.

Il n’est pas à notre connaissance que personne avant lui ait tenté un travail d’ensemble sur cette question. Les voyageurs et les naturalistes abondent en faits, en observations curieuses, en hypothèses ; mais nul ne les avait encore groupés sous une forme systématique. Il serait d’ailleurs difficile de se tenir plus rigoureusement qu’il ne l’a fait dans son sujet. On dirait qu’il a eu peur de tout écart, et bien qu’il nous dise qu’une telle étude n’est pas sang utilité pour la philosophie sociale, il semble que de parti pris, il se soit interdit tout rapprochement entre les sociétés animales et les sociétés humaines. À tout prendre, son livre y gagne en unité.

M. Espinas définit la société : « un concours permanent que se prêtent pour une même action des êtres vivants séparés » — concours qui consiste avant tout « en une réciprocité d’habitudes et de services ». Son premier chapitre, consacré aux sociétés accidentelles entre animaux d’espèces différentes, est, à rigoureusement parler, en dehors de son sujet. Il a cependant l’avantage de déterminer d’une manière négative ce qu’il faut entendre par société animale, en excluant de ce titre tout ce qui n’en a que l’apparence. Tels sont les parasites, les commensaux et les mutualistes. Il est clair qu’entre le parasite et son hôte, entre le commensal et son pourvoyeur, les relations n’ont rien qui ressemble à un concours social. Aussi M. Espinas ne veut-il voir dans le parasitisme, « qu’un prolongement de la lutte pour l’existence que soutiennent contre les espèces nouvelles, supérieures, les espèces inférieures depuis longtemps en possession de la terre. » — Lorsqu’à la lutte pour l’existence fait place la coalition pour l’existence, l’association pour mieux soutenir la lutte même, alors se produit la mutualité qui « par l’identité des représentations, entraîne à son tour la communauté des craintes et des espérances. » Ici, il y a association temporaire entre des espèces diverses, mais douées d’habitudes semblables. C’est ainsi qu’on voit s’unir en bandes les bruants avec les alouettes, les pies avec les corbeaux, les grives avec les merles. « L’autruche est admise comme vigilante gardienne dans les troupeaux de gazelles, de zèbres et de couaggas, et le daman d’Abyssinie protège, sans le savoir, en se gardant lui-même, un lézard et un ichneumon attentifs à tous ses mouvements. » L’auteur cite un grand nombre de faits de ce genre qui offrent les linéaments grossiers et instables d’une société.

Mais les sociétés normales n’existent qu’entre des individus de la même espèce : c’est donc avec elles seules que commence l’histoire des sociétés animales. Les fonctions essentielles à l’existence étant au nombre de deux : la nutrition et la reproduction, — l’auteur trouve là les bases d’une division naturelle des sociétés normales. Il y a : 1° les sociétés primitives où la fonction exercée en commun est l’une des