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nolen.l’idéalisme de lange

les choses sont bonnes ou mauvaises, suivant qu’elles sont conformes ou contraires au modèle idéal que l’âme porte en elle-même, ou mieux qu’elle tire de son propre fonds.

Lange conçoit la moralité comme l’art. L’idée du bien est le produit d’une libre synthèse ainsi que celle du beau. La polémique, engagée entre d’Holbach et Voltaire au sujet de l’origine des notions morales, fournit à Lange l’occasion de mettre en pleine lumière sa propre conception. D’Holbach soutenant que l’ordre et le désordre n’existent pas dans la nature, et ne répondent qu’à des vues subjectives de l’esprit : « Eh quoi ! reprend Voltaire, le meurtre d’un ami, d’un père n’est-il pas un horrible trouble dans le domaine moral ! » Sans doute, répond à son tour Lange. « Mais nous pouvons nous élever à la pensée que le désordre et les passions, qui donnent naissance aux crimes, ne sont que des effets nécessaires, inséparables des actes et des impulsions de l’homme, tout comme l’ombre est inséparable de la lumière. » Nous sommes forcés d’admettre que tout, dans la nature, se produit en vertu de lois inflexibles. C’est parce qu’il y a un autre ordre que celui-là, mais dont le principe est exclusivement en nous, que nous nous indignons des démentis que l’impassible nécessité de la nature lui inflige.

Mais le matérialisme ne peut se placer à ce point de vue, et voilà pourquoi il faut condamner tous les systèmes de morale qu’il a inspirés, aussi bien la morale fondée sur la sympathie d’Adam Smith, celle de Feuerbach, d’Auguste Comte, que les systèmes des modernes utilitaires, où l’harmonie des intérêts et la libre concurrence deviennent les instruments exclusifs du progrès futur.

Lange n’épargne pas davantage la forme plus relevée, sous laquelle se présente la morale sensualiste de Czolbe. Quelque ressemblance qui paraisse exister entre la maxime fondamentale de Czolbe : « Contente-toi du monde, tel qu’il t’est donné, » et l’impératif catégorique de Kant, Lange n’a point de peine à y découvrir une pure négation de l’idéal, et il le rejette comme inférieur à la doctrine pratique de Kant.

Ce n’est pas qu’il ne fasse des critiques sérieuses à la morale de Kant ; mais il en maintient les principes essentiels. « La déduction du principe y est imparfaite ; le principe lui-même, susceptible d’être perfectionné : mais elle excelle à démontrer que le germe de la tendance de l’esprit à se subordonner au tout doit préexister dans notre organisation antérieurement à toute expérience. »

Ni la métaphysique, ni l’art, ni la morale n’expriment suffisamment l’idéal ; ou plutôt ils n’ont d’efficacité, qu’autant qu’ils trouvent un auxiliaire dans la religion. Nous arrivons ici à l’une des doctrines les plus originales et les plus inattendues de Lange. Comme à