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Ferraz : Études sur la philosophie en France au xixe siècle : Le socialisme, le naturalisme et le positivisme. 1 vol. in-12, 2e  édition. Paris, Didier, 1877.

Il semble, au premier abord, que l’unité fasse défaut à un livre où. défilent tour à tour, dans une rapide revue, les penseurs les plus indépendants, les plus originaux du xixe siècle : St-Simon et Fourier, Pierre Leroux et Jean Reynaud, Auguste Comte et Proudhon. Quel rapport, quelle ressemblance saisir entre des esprits positifs, sévèrement disciplinés par la méthode scientifique, comme Auguste Comte, et des constructeurs d’hypothèses, des aventuriers de la pensée, tels que les fondateurs de la religion St-Simonienne. Le mystique écrivain de Terre et ciel n’est-il pas déplacé dans la compagnie du phrénologue Gall et du matérialiste Broussais ? M. Ferraz répond à cette objection, en s’efforçant de prouver que, malgré la diversité de leurs physionomies intellectuelles, les philosophes dont il écrit l’histoire se rattachent à une même doctrine, dont ils développent en sens divers les conséquences, et qui est le sensualisme. Naturalisme, positivisme et socialisme ne sont à ses yeux que les formes diverses de la philosophie de la sensation. Le lien n’est-il pas bien fragile pour rapprocher et pour unir un si grand nombre et une telle diversité de systèmes ? Peut-être eût-il mieux valu aue tout en conservant à son travail cette variété de sujets qui en est le premier attrait, M. Ferraz se contentât de grouper les auteurs qu’il critique dans une catégorie moins définie, et comme sous un drapeau plus large, en les présentant simplement comme les indépendants, les dissidents, ceux qu’on aurait appelés autrefois les hérétiques de la philosophie du xix e siècle. De notre temps, en effet, ont régné deux traditions : la tradition théologique, représentée par de Maistre, par de Bonald, et la tradition rationaliste. Mais en dehors de ces deux grands courants de la pensée contemporaine, il y a eu, plus qu’en aucun siècle peut-être, des tentatives isolées, des essais individuels ; il y a eu des irréguliers qui ont fait bande à part, qui ont cherché leur voie hors des sentiers battus. C’est de ces doctrines indépendantes que M. Ferraz nous entretient, laissant de côté l’histoire, qu’il remet à plus tard, du traditionalisme et du rationalisme : de sorte que si son livre n’a pas l’unité prétendue et artificielle qu’il lui attribue, celle qui consisterait à rechercher le sensualisme jusque dans des systèmes qui semblent le contredire, ou en ignorer l’existence, il n’est que juste de lui accorder une autre unité, très-réelle, celle-là, et qu’aurait exprimée à peu près le titre suivant : Histoire de la libre pensée au xixe siècle. Ajoutons qu’un autre caractère est commun à tous ces penseurs : ils sont plus politiques que philosophes, et se préoccupent moins de spéculation pure que de réformes pratiques et sociales.

Il serait, d’ailleurs, difficile de concevoir un sujet plus séduisant, plus varié, plus riche d’idées et de faits. Dans ce fragment de l’histoire de la philosophie française au xixe siècle, se rencontrent, non pas sans doute les théories les plus vraies et les plus solides, mais du moins les plus