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analyses.conta. Théorie du fatalisme.

le plus aux nues. Ce sont là des qualités auxquelles nous sommes d’autant plus heureux de rendre justice que nous nous écartons plus complètement du point de vue et des conclusions de M. Conta. Mais, avec lui une discussion courtoise est possible et c’est ce qui nous engage à présenter quelques brèves remarques sur son ouvrage.

Comme tous les matérialistes, M. Conta a la prétention de s’appuyer sur les sciences positives ; comme tous les matérialistes aussi, il abandonne bientôt les règles sévères de la méthode expérimentale pour se jeter dans les hypothèses les plus téméraires, puisqu’elles échappent de leur nature à tout contrôle. Il se sépare d’eux sur un point important : d’ordinaire le fatalisme est donné comme une conséquence forcée du matérialisme. Ici au contraire c’est par la démonstration du déterminisme absolu et universel des phénomènes de tout genre que commence l’auteur. Nous ne croyons pas que ce changement de front soit d’une habile tactique, car enfin, quand la fatalité de tous les phénomènes serait établie, s’ensuivrait-il que leur déterminisme fût purement matériel ? En aucune façon. Le fatalisme peut être panthéiste ou déiste aussi bien que matérialiste, tandis qu’au contraire il est impossible, sans illogisme, de se refuser à l’admettre du moment qu’on part de la matière, comme seule substance réelle. Il y a plus, si l’on veut y réfléchir, jamais le fatalisme n’a été et jamais il ne sera que la conséquence de quelque doctrine métaphysique : en soi et comme principe, il échappe à toute démonstration directe.

On nous dira et nous serions assez disposé à l’admettre, qu’il en est de même de la liberté, attendu qu’une véritable expérience d’un acte libre est scientifiquement et psychologiquement irréalisable. Soit ! Mais comment, d’autre part, constater que tous les phénomènes sont également, et au même titre, nécessités par leurs antécédents ? M. Conta invoque entre autres la loi de Vico d’après laquelle toutes les nations, dans leurs développements historiques, doivent passer par les mêmes phases, Est-ce que cette prétendue loi répond aux conditions d’expérimentation et de contrôle exigées par la méthode inductive ? Il n’y a là qu’une hypothèse sur laquelle ne peut se fonder aucune prévision certaine. L’auteur invoque aussi la statistique des mariages, des faillites, mais des mariages surtout. Observons d’abord avec M. Claude Bernard que la statistique ne fournit jamais que dès à peu près, et que, si ses moyennes sont suffisamment approximatives, elles sont incapables d’établir le déterminisme d’aucun fait individuel : une remarque plus importante, c’est que la liberté, si elle existe, suffit à expliquer les faits en question : pourquoi les actions libres dans un même milieu ne se répéteraient-elles pas à peu près dans la même proportion d’année en année ? En résumé, si la liberté est un postulat qui tire toute sa valeur de considérations pratiques et morales, la nécessité en est un autre, mais qui se fond sur des spéculations purement métaphysiques.