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séailles.l'esthétique de hartmann

germes semés par l’inconscient, pour qu’ils s’épanouissent en une riche végétation de formes vivantes. » Il faut qu’il ait rassemblé dans sa mémoire une riche provision d’images appropriées à son art pour que l’idée suggérée par l’inconscient et qui n’est encore attachée à aucune forme, trouve les matériaux de la forme qui lui convient. — En second lieu, l’énergie, la persévérance, l’application, le jugement et le goût sont des qualités nécessaires, sans lesquelles l’idée inspiratrice restera stérile. — Enfin pour que naisse l’inspiration, il faut que l’âme tout entière ne vive et ne respire que pour l’art, qu’elle se consacre tout entière à cette œuvre, qu’elle ne se laisse détourner par aucune force étrangère de sa sublime poursuite. Mais la réflexion n’a jamais qu’un rôle secondaire ; elle peut contrôler, elle est incapable de produire ; elle peut préparer l’inspiration, elle est impuissante à la provoquer ou à la faire naître. En résumé, avec Schelling et Carrière, nous définirons la création artistique « une action réciproque et constante de l’activité inconsciente « et de l’activité consciente, qui sont également indispensables l’une à l’autre pour la réalisation de la fin poursuivie. »


Du sentiment esthétique. — Nous savons ce qu’est le génie et nous avons montré qu’il n’est qu’un des modes d’action de l’intelligence inconsciente ; étudions maintenant le sentiment qu’éveille en nous la contemplation du beau.

La conscience n’est que l’étonnement de la volonté, qui, par suite du conflit de ses activités, atteint un autre résultat que celui qu’elle avait l’intention de produire. Dans tout fait de conscience, il y a donc lutte et résistance de deux ou plusieurs forces opposées ; il s’en suit que la douleur, qui est un conflit, est toujours perçue par la conscience, tandis que le plus souvent le plaisir lui échappe, par cela seul qu’il exclut la lutte de volontés contraires. Pour que le plaisir soit senti, il faut que, grâce à la comparaison et à l’expérience, nous ayons appris « à connaître les obstacles que chaque vouloir est exposé à rencontrer au dehors, les conditions extérieures requises pour que la volonté puisse se réaliser[1]. » M. de Hartmann applique cette théorie de la sensibilité, que nous supposons solidement établie, au plaisir esthétique.

Helmholtz démontre que le plaisir esthétique, qui naît du ton, de l’harmonie et du timbre, doit être considéré comme la négation d’une sensation douloureuse. « L’oreille souffre d’un bruit confus, des dissonances et d’un timbre désagréable, comme l’œil est troublé par la vue d’une lumière vacillante. Ce déplaisir res-

  1. Philosophie de l’inconscient. T. II. p. 53-54 sq. Trad. de M. D. Nolen.