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ANALYSES. — naville.Julien l’apostat et sa Philosophie.

d’un monde qui lui est si dissemblable ? D’ailleurs, c’est un singulier Dieu universel que « celui qui a laissé plongés dans l’ignorance et adonnés au culte des idoles tous les peuples qui habitent du Levant au Couchant et du Midi au Septentrion, à l’exception d’une petite peuplade qui s’est établie, il n’y a pas deux mille ans, dans une partie de la Palestine ? » Les Hébreux sont si peu les élus de Dieu, qu’ils n’ont pu développer chez eux ni les arts, ni les sciences, ni les lettres, et qu’ils ont été les esclaves des Assyriens, des Mèdes, des Perses et des Romains. Cependant Julien accorde que le Dieu de Moïse et d’Abraham est un de ces ethnarques auxquels est confiée la direction des peuples : le grand tort des Juifs, c’est de n’adorer que lui et de lui prêter leur propre étroitesse et leur intolérance. Mais ils ont le mérite de rester fidèles à leurs traditions nationales, ils ont, comme les Gentils, leurs enceintes sacrées, leurs autels, leurs sacrifices, en un mot, ils ont « une piété partielle. »

Les Galiléens, au contraire, sont en toutes choses les pires des révolutionnaires. « Vous avez fait, dit Julien, comme les sangsues qui tirent le mauvais sang et laissent celui qui est pur. Votre piété est un mélange de l’audace des Juifs et de l’indifférence dissolue des Gentils. Aux Juifs vous n’avez pris que leurs blasphèmes contre les dieux que nous honorons ; à notre culte, vous n’avez pris que la permission de manger de tout comme des légumes d’un jardin. En toute nation, vous avez cru devoir conformer votre vie à celle des cabaretiers, des publicains, des danseurs et gens de cette espèce. » Les Galiléens qui prétendent adorer le Dieu de Moïse, n’avaient pas le droit d’abandonner sa loi. Jésus lui-même disait qu’il était venu pour l’accomplir. Ils n’avaient pas le droit de supprimer les sacrifices et de remplacer la circoncision par ce lavage d’eau, c ce baptême qui ne guérit ni la lèpre, ni les dartres, ni les boutons, ni les verrues, ni la goutte, ni la dyssenterie, ni l’hydropisie, ni les panaris, ni aucune infirmité du corps, petite ou grande ; mais qui guérit les adultères, les vols, et, en un mot, tous les péchés de l’âme. » À vrai dire, puisque les chrétiens sont infidèles même au Dieu des Juifs, leur doctrine n’est qu’athéisme.

Mais ce qui inspire à Julien un dégoût particulier, c’est qu’on abandonne les dieux pour « se tourner vers les morts et leurs dépouilles, » c’est qu’on adore des martyrs obscurs et sans nom, c’est qu’on déifie le fils d’un charpentier, un homme étranger à la science hellénique, un sujet de César, « qui, pendant tout le temps qu’il a vécu, n’a rien fait de mémorable, à moins qu’on ne considère comme quelque chose de grand d’avoir guéri des boiteux et des aveugles, et exorcisé des démoniaques dans les villages de Bethsaïde et de Béthanie ! » C’est donc contre le culte de l’Homme-Dieu que Julien a dirigé ses principaux efforts ; il démontre longuement, avec une connaissance approfondie des textes, qu’il n’est pas seulement en contradiction avec le monothéisme de l’ancien Testament, mais que de plus c’est une innovation chez les Galiléens eux-mêmes, et que Jean est l’auteur de cette inven-