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retour au passé, aux impressions d’enfance, au pays, au foyer natal. C’est le Heimkehr de Heine ; c’est le mélancolique génie qui fait se dresser sur nos pas


L’ombre des jours qui ne sont plus.


Le Nostalgique est celui qui fait empiéter le passé sur le présent, celui qui embaume ses souvenirs, celui qui vit avec des ombres, qui dirait avec Chateaubriand : « Tous mes jours sont des adieux ». La nostalgie, c’est le sens du Passé ; et donc le sens de l’inoublié et de l’inoubliable, de l’ineffaçable, de l’irrévocable, de l’irréparable, de l’irrémissible ; de l’inexpiable, de l’indestructible, de l’inexorable ; car tous ces attributs appartiennent au passé. Et c’est aussi l’amour des choses mortes, l’amour des ruines, la poésie des cimetières, la hantise de la mort.

La nostalgie est tout cela ; mais elle est autre chose encore. Et ici se laissent percevoir quelques-uns des fils mystérieux qui lient les choses et les âmes. Dire que la nostalgie est un retour au passé, c’est dire qu’elle est un retour à quelque chose de connu, parfois de trop connu. — Le passé de chacun a un contenu propre et unique ; il se compose de telles aventures, de telles expériences, de telles heures diaboliques ou divines. La passion du passé, ce n’est donc nullement la passion de l’inconnu. — Comment passer de la nostalgie comme hantise du passé à la nostalgie comme hantise de l’inconnu, de l’indéterminé, de l’indéfini ? — C’est peut-être que les limites de notre moi sont indécises et que ce moi se perd dans quelque chose de plus vaste que lui. C’est que le passé évoqué par notre mémoire se perd lui-même dans un passé plus lointain ; ce dernier dans un autre plus lointain et plus brumeux encore, et, de proche en proche, dans l’inexploré, dans le primitif, dans l’anonyme et l’impersonnel, dans cet inconscient qui se trouve à la source de toute vie, qui se souvient de tout et dans quoi se prépare tout ce qui vivra. La mémoire de l’individu rejoint la mémoire atavique, la mémoire immémoriale de la race ou de l’espèce. Et ainsi, au fur et à mesure que nous remontons vers les sources ignorées, le passé va se cerner d’un halo, va s’estomper de mystère et voici que par d’insensibles transitions, notre Désir va changer d’objet et le mot va changer de sens. L’inconnu nous hante plus que le connu, en dépit de l’aphorisme : Ignoti nulla cupido