Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome I, 1876.djvu/143

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déjà propre à dégoûter le lecteur non habitué à cette langue et à ces formules. Hégel, dans son esthétique, avait su éviter cette forme. Le disciple l’affecte et la recherche. Il veut repousser les profanes et il n’y réussit que trop. Il ne ménage même pas assez les initiés, qui eux-mêmes s’en plaignent (V. Schasler). Il veut avant tout être scientifique. Soit, mais la science ne peut-elle parler plus clairement ? Pour se faire comprendre est-elle condamnée à se servir de cette langue ? Quoi qu’il en soit, tout l’intérêt se reporte sur les commentaires, et l’on a pu dire avec raison que là est le fruit et le suc de ce livre. Mais ici encore, il faut le dire, la confusion est extrême. La théorie, l’histoire, l’érudition, la critique, s’y rencontrent et s’y entremêlent de manière à offrir un ensemble souvent embrouillé et diffus où l’on a peine à se reconnaître. En somme, l’étude d’un pareil ouvrage est très-propre, sans doute, à récompenser de ses efforts celui qui a le courage de l’entreprendre et de la poursuivre jusqu’au bout dans toutes ses parties ; mais elle exige une dose de patience et de persévérance dont peu d’esprits sont capables et qui en écartera toujours le plus grand nombre, même parmi les plus cultivés des compatriotes de l’auteur. Il serait absolument impossible de le traduire dans notre langue. — Quant au fond, je le répète, il est tout hégélien. L’auteur ne fait que développer les idées de Hégel sur les points principaux en les modifiant et les corrigeant. Sa définition du beau, celle de l’art, sa division des arts, etc., tout cela est emprunté à Hégel. Il est cependant des points de très-haute importance où il se sépare de ce philosophe et se montre réellement indépendant. Nous n’en signalerons qu’un seul parce qu’il est significatif et qu’il montre en quoi l’esthétique hégélienne, comme l’idéalisme hégélien en général, donne surtout prise à la critique et aux reproches les mieux fondés de ses adversaires. Ce point c’est l’accidentel ou l’accidentalité (Zufälligkeit), que Hégel avait écarté ou qui n’avait pas assez de place dans son système. L’auteur s’efforce de le réintégrer dans ses droits. L’accidentel, qu’on y fasse attention, c’est aussi le réel, par d’autres faces l’individuel, le personnel, et enfin l’arbitraire, la liberté sinon le caprice, dans la volonté. Tout cela est foulé aux pieds, effacé, anéanti par la dialectique, qui l’absorbe et le détruit en l’identifiant avec le nécessaire. Rien d’accidentel dans ce système. Le contingent disparaît dans les immuables lois du développement fatal de l’idée. La liberté elle-même, c’est aussi la nécessité, une libre nécessité, dit-on, ou une liberté nécessaire. Vischer prétend restituer à l’accidentel sa place réelle dans le domaine du beau et de l’art. C’est une des parties originales du livre ; elle méritait d’être signalée.