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John stuart mill.berkeley, sa vie et ses écrits

un nouveau type de preuve qu’ils appliquent aux sujets les plus abstraits de la philosophie.

Par ces trois doctrines réunies, Berkeley a imprimé un nouveau mouvement à la haute philosophie dans les temps modernes. Comme fait historique, c’est incontestable. La psychologie et la métaphysique d’avant et d’après Berkeley diffèrent presque autant que l’histoire ancienne et l’histoire moderne, ou que la physique ancienne et la physique moderne. Ses deux premières découvertes ont été le point de départ de la véritable méthode analytique en psychologie ; seules elles ont rendu possibles les développements que cette étude a reçus par la suite. Ajoutons que ses raisonnements sur la Matière ont, de l’aveu de tous, décidé de la direction de la métaphysique après lui, à la fois chez les penseurs qui acceptaient sa doctrine tout entière ou seulement en partie, et chez ceux qui la combattaient.

Si l’on ajoute à tout cela que par son style littéraire seul, Berkeley peut prendre rang parmi les meilleurs écrivains d’une époque que l’on regarde, non sans raison, comme la plus belle de la prose anglaise, on aura des motifs suffisants d’espérer que les amis de la philosophie, et les personnes curieuses de l’histoire de l’esprit humain voudront chercher dans ses œuvres mêmes la connaissance de ses doctrines, qu’ils ne laisseront pas l’édition nouvelle reposer sur les rayons d’une bibliothèque, et qu’ils lui donneront une place parmi leurs livres favoris.

Quand on lit les écrits de Berkeley, en corps, on est vivement frappé de l’élaboration complète qu’il avait donnée dans son esprit à toutes les doctrines qui constituent le fond de sa philosophie, avant d’en publier aucune. Dans le journal très-intéressant (ou mieux dans les cahiers de notes) que Berkeley écrivait alors qu’il était étudiant à l’Université de Dublin, et que le professeur Fraser a eu la bonne fortune et le mérite de nous faire connaître, on trouve déjà toutes les opinions distinctives de Berkeley, y compris même les questions sur lesquelles il dispute avec les mathématiciens ; et elles n’y sont pas seulement en germe, mais presque aussi complètes au point de vue des pures idées, que dans aucun de ses écrits. La doctrine qu’on appelle son idéalisme ou sa non-croyance à la matière, non-seulement il y était arrivé à cette époque de la jeunesse, mais cette doctrine était devenue une habitude fixe de son esprit. Ce fait ne manque pas d’intérêt psychologique, puisqu’il nous explique l’étonnement sincère qu’il manifeste dans bien des passages de ses écrits, que cette interprétation des phénomènes sensibles n’ait pas été, aussitôt que comprise, considérée comme évidente par elle-