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arrivés par la psychologie. Selon lui, il y a deux sortes de langages, l’un qu’il appelle émotionnel et qui nous est commun avec les brutes, l’autre qu’il appelle rationnel et qui est propre à l’homme. Ce langage émotionnel comprend les cris, les interjections, les sons imitatifs. « Si un chien aboie, c’est un signe qu’il est en colère, content ou surpris ; tous les chiens parlent ce langage, tous les chiens l’entendent, et d’autres animaux aussi, les chats, les moutons, même les enfants apprennent à le comprendre. Un chat qui a été effrayé ou mordu une fois par un chien aboyant comprendra aisément le son, et se sauvera aussi bien que tout autre être qualifié de raisonnable. » Seulement s’il se sauve, c’est que, par association, l’aboiement évoque en lui l’image ou représentation sensible du chien qui s’élance et de la paire de crocs qui vont entrer dans sa peau. Le langage rationnel et spécialement humain est tout autre : considérés dans leur sens primitif, les mots qui le composent évoquent non des représentations sensibles, mais des concepts généraux ; à ce titre on l’appelle rationnel, parce que la raison est la faculté de former et de manier ces concepts généraux. » « Il n’y a pas de langage, même parmi les sauvages les plus dégradés, dans lequel la très-grande majorité des mots ne soit rationnelle. Nous n’entendons pas par langue rationnelle, une langue possédant des termes aussi abstraits que blancheur, bonté, avoir, être, mais toute langue dans laquelle les mots les plus concrets eux-mêmes sont fondés sur des concepts généraux, et dérivés de racines qui expriment des concepts généraux. Il y a dans toute langue une couche de mots qui peuvent être appelés purement émotionnels ; cette couche est plus ou moins grande suivant le génie et l’histoire de chaque nation ; elle n’est jamais cachée entièrement par les couches postérieures du langage rationnel. La plupart des interjections, beaucoup de mots imitatifs appartiennent à cette classe ; leur caractère et leur origine sont parfaitement manifestes, et personne ne peut soutenir qu’ils reposent sur des concepts généraux. Mais, si nous défalquons cette couche inorganique, tout le reste de la langue, soit chez nous, soit chez les derniers des sauvages, peut être ramené à des racines, et chacune de ces racines est le signe d’un concept général. Telle est la plus importante découverte de la linguistique… Ces racines, qui, en réalité, sont les plus vieux titres de notre droit à la qualité d’êtres raisonnables, fournissent encore aujourd’hui la sève vivante des millions de mots prononcés sur la surface du globe, tandis qu’on n’en a découvert aucune trace, ni aucune trace de quoi que ce soit d’analogue, parmi les plus avancés des singes catarrhins. »

« Quoique le nombre des racines soit illimité, le nombre de celles