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le manque de souplesse de leurs organes ne leur permet guère d’en acquérir de nouvelles ; aussi ont-ils la sensibilité moins vive et trouvent-ils moins d’occasions de goûter des plaisirs. Ils ont déjà beaucoup de peine à conserver ce qu’ils ont de force ; ils sont exposés sans cesse à voir leurs fonctions empêchées de s’exercer ; c’est pourquoi ils trouvent surtout leur bien à éviter la souffrance, et ils doivent se résigner à un bonheur purement négatif dont la jeunesse ne saurait s’accommoder.

Le plaisir, que nous avons défini ailleurs comme la conscience d’une augmentation de force, pourrait être défini également, dans un grand nombre de cas, la conscience de l’acquisition d’une habitude. La douleur, qui est au contraire la conscience d’une diminution de force, accompagne la destruction totale ou partielle de l’habitude qui n’est que de la force accumulée.


VII


Une des difficultés les plus grandes que présente la théorie de l’habitude, c’est l’explication de ses intermittences. Les facultés, les fonctions qui sont des habitudes, ne s’exercent pas toujours d’une manière continue. Leur exercice s’interrompt, quelquefois pendant longtemps, puis il reprend sous l’empire de certaines circonstances. Dans l’intervalle, le même organe peut servir à des fonctions différentes. On s’est demandé ce que pouvait devenir l’habitude, ou la manière d’être acquise, dans les moments où elle cesse de se manifester à nous. N’y a-t-il pas une contradiction entre la permanence qu’on lui attribue et cette disparition momentanée ? On a répondu que le fait d’habitude subsistait en pareil cas à l’état latent. C’est résoudre le problème au moyen d’un mot qui aurait besoin lui-même d’être expliqué.

Comme ces intermittences se présentent dans les organes en raison de leur complication, nous pouvons les étudier dans les fonctions les plus élevées et notamment dans les facultés intellectuelles. Puisqu’on admet généralement aujourd’hui que la mémoire est fondée sur l’habitude, nous pouvons chercher ce que devient une idée dans l’esprit en attendant que nous nous la rappelions, et l’explication servira tout aussi bien à l’habitude de marcher, au talent de jouer d’un instrument, en un mot à toutes les fonctions qui ne se réveillent que dans des conditions semblables à celles où nos idées se reproduisent.

On considérait autrefois la mémoire comme une sorte de magasin