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dans l’organisme entier ; ses définitions des classes en sont la preuve. Mais, comme s’il était impossible à l’observation humaine de discerner dans la fusion des formes organiques tous les traits propres à chacune, rien n’est plus vague que les définitions qu’il propose. Les classes sont-elles nettement séparées des groupes inférieurs, quand on a dit qu’elles sont caractérisées « par les différences des voies et moyens employés à réaliser la vie ? » Cette définition n’embrasse-t-elle pas, au contraire, avec ce qui appartient à la classe, ce qui ressortit aux familles et aux ordres ? La complication ou la simplicité de la structure organique qui, aux yeux d’Agassiz, caractérisent les ordres, sont-elles choses distinctes des voies et moyens employés à construire l’organisme ? La structure intime qui détermine les formes extérieures, indices caractéristiques des familles, s’en distingue-t-elle davantage ? On a remarqué avec raison que chacune de ces définitions peut, sans inconvénient, être substituée aux autres. Un logicien y verrait la preuve qu’aucune d’elles ne convient au seul défini. Ce n’est pas tout : la théorie ne soutient pas jusqu’au bout l’épreuve de l’application. Quand il arrive aux genres et aux espèces, Agassiz renonce à en chercher les traits dans l’organisme entier, et, comme ses devanciers, il prétend les trouver dans la structure spéciale, dans les détails et dans l’ornementation de telle ou telle partie. Que voir dans ces applications mal assurées et parfois infidèles d’une théorie vraie au fond, sinon une preuve expérimentale de notre impuissance à faire dans les individus adultes la part exacte de chacun des types qu’ils réalisent simultanément ?

Mais peut-être l’embryologie réussira-t-elle là où l’anatomie comparée a échoué. Nous avons vu que l’être en voie de formation revêt successivement des formes transitoires qui lui sont communes d’abord avec tous les représentants du même embranchement, puis avec ceux de la même classe, du même ordre, de la même famille, du même genre et enfin de la même espèce. Si, dans l’adulte, chacune de ces formes nous cache en partie celle qui l’ont précédée, il sera possible de les distinguer dans l’embryon où elles apparaissent l’une après l’autre. Prise en gros, cette proposition est vraie. Mais ce serait une erreur de croire que le discernement des diverses formes embryonnaires peut être fait avec cette exactitude qu’exige la science. L’évolution ne procède pas par sauts et par saccades, elle est continue et progressive. Entre deux de ces états successifs, si rapprochés qu’on les suppose, il y a, il est vrai, un abîme infranchissable pour la pensée ; mais l’observation qui ne saisit que des masses appréciables au sens, ne voit pas ces solutions de continuité infiniment petites. L’embryon semble donc passer insensiblement