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L’HISTOIRE DU MATÉRIALISME[1]




L’homme a longtemps désiré de connaître la vérité ; dans ses rêves grandioses, il a cru concevoir l’absolu et penser l’infini. Déchu de tant d’orgueil, convaincu de son néant, il ne cherche plus dans les choses que le vraisemblable et le relatif. L’histoire de ces ardeurs juvéniles, de ces désespérances et de cette résignation de l’entendement humain est toute l’histoire de la philosophie. Toutes les vues de l’homme sur l’univers ont été nécessaires, partant légitimes, puisqu’elles correspondaient à des états de conscience définis, et qu’il n’y a rien de plus dans la vie intellectuelle de l’espèce comme dans celle de l’individu. Dans la lutte des idées pour l’existence, les théories de notre âge n’ont pu apparaître et vaincre en l’universelle mêlée qu’après la défaite et la ruine des anciennes. Ce qui tombe et se décompose par le progrès naturel du temps est à bon droit condamné, et ne saurait renaître que sous d’autres formes éternellement éphémères et périssables.

De là la vanité, mais aussi la nécessité des doctrines extrêmes dans l’évolution de l’esprit, du matérialisme et de l’idéalisme, de l’empirisme et de la spéculation. La période des grandes constructions métaphysiques, des systèmes a priori, paraît être passée. Noter et classer des faits avec exactitude, dans tous les ordres de la connaissance, voilà la plus haute visée des hommes de ce temps. Il faut pourtant convenir qu’une intelligence bien douée ne pénètre dans le détail des choses que pour y découvrir des affinités secrètes et en dégager des lois. La description exacte d’un phénomène est chose délicate ; mais un fait bien décrit est-il expliqué ? La méthode graphique appliquée à l’étude clinique des maladies présente aux yeux un tableau exact des courbes, de la fréquence du pouls et de la température dans les accès de fièvre : nous apprend-elle ce qu’est la

  1. F. A. Lange, Geschichte des Materialismus und Kritik seiner Bedeutung in der Gegenwart. (Histoire du matérialisme et critique de son importance à notre époque.) Leipzig, J. Baedeker, 1875.