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cerveau comme de son instrument, n’est certes pas d’accord avec nos habitudes scientifiques ; mais la conception qui fait des circonvolutions cérébrales le siège de l’esprit, qui considère certaines cellules comme le siège de l’idéation, tandis que d’autres sont celui de l’émotion ou de la sensation, — l’idée, en un mot, de chercher un centre unique pour l’esprit, ne me semble pas moins opposée à la philosophie biologique que celle d’après laquelle on recherche un centre unique pour la vie. Elle est sujette à deux objections. Au point de vue psychologique, c’est une erreur de considérer l’esprit comme une fonction simple : c’est l’expression abstraite de plusieurs fonctions complexes ; au point de vue physiologique, c’est une erreur de regarder le cerveau comme l’organe de cette abstraction : ce n’est qu’un des organes d’un groupe complexe d’organes, dont l’action synthétique est indispensable. Chaque organe des sens a sa fonction particulière, mais il n’y a pas un organe de la sensation ; car la sensation n’est que l’expression abstraite de toutes les sensations concrètes. Il en est de même pour l’esprit.

« Le système nerveux, a dit avec raison Virchow[1], est un appareil composé d’un très-grand nombre de parties, d’égale valeur relative, sans point central que l’on puisse déterminer. Plus nos recherches histologiques sont faites avec soin, plus les éléments se multiplient, et l’on voit que la composition dernière du système nerveux est faite sur un plan analogue à celui qui a été suivi dans les autres parties du corps. Un nombre infini d’éléments cellulaires se montrent les uns à côté des autres, plus ou moins autonomes et en une grande mesure indépendants les uns des autres. »

Et ailleurs : « Il peut sembler commode de dire que le système nerveux constitue l’unité réelle du corps, d’autant plus qu’il n’y a aucun autre système qui soit aussi disséminé à travers les organes. Mais cette dissémination elle-même, et les nombreuses connexions qui existent entre les parties individuelles du système nerveux, ne sont nullement faites pour montrer qu’il est un centre pour toute action organique. Nous avons trouvé dans le système nerveux de petits éléments cellulaires déterminés, qui servent de centre au mouvement, mais nous n’avons pas trouvé une seule cellule ganglionnaire dans laquelle tout mouvement prenne naissance. Les sensations sont certainement recueillies par des cellules ganglionnaires déterminées, mais parmi ces cellules nous n’avons encore pu en trouver une seule que l’on puisse désigner comme le centre de toute sensation ; mais nous rencontrons un grand nombre de petits centres ».

  1. Virchow, Pathologie cellulaire, 229-284.