Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome I, 1876.djvu/602

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
594
revue philosophique

désintégrations et transformations chimiques, produites par les liquides acides et alcalins, a rectifié leur jugement précipité, et a montré que le processus mécanique n’était qu’un processus préparatoire, qui permettait au processus chimique de se faire plus activement. Spallanzani et ses successeurs ayant montré l’action des sucs salivaires, gastriques et intestinaux, et prouvé que, même en dehors de l’organisme, ces sucs continuaient la désintégration des aliments, on est arrivé à la croyance que la digestion n’était qu’un processus chimique. Mais c’était encore prendre la partie pour le tout, et confondre le processus chimique avec le processus physiologique. Sous prétexte que cette désintégration pouvait se produire dans le laboratoire, on lui laissait prendre la place de la digestion qui s’accomplit dans l’organisme. Comme Hunter l’a fait remarquer d’une manière piquante, « pour rendre compte de la digestion, on a fait de l’estomac un moulin, d’autres en avaient fait une étuve, d’autres un mortier ; et pendant tout ce temps l’estomac n’était ni un moulin, ni une étuve, ni un mortier, mais rien qu’un estomac[1]. » Les physiologistes, qui s’occupent d’un phénomène organique, et non d’un phénomène mécanique ou chimique, doivent tenir compte de toutes les conditions que ce phénomène implique ; et ils trouvent qu’il y a autre chose que la trituration et la désintégration, qui sont d’ailleurs des processus dépendant de l’excitation et de la direction d’un système sensoriel et moteur. La sécrétion de liquides désintégrants, et les contractions des muscles, sont produites par une excitation réflexe, ou par l’excitation encore plus éloignée d’états sensoriels, sous forme d’émotion ou de désir[2].

Il suffit d’un seul exemple pour montrer combien est trompeuse l’interprétation chimique d’un processus physiologique. Sachant que que le suc gastrique est acide, et que c’est à cette acidité que l’on attribue ses propriétés digestives, le chimiste interdira l’usage d’alcalis dans les cas d’affaiblissement de la sécrétion gastrique, sous prétexte que les alcalis neutralisent les acides, et le résultat de son intervention sera une nouvelle diminution des sécrétions de l’estomac. Le physiologiste, au contraire, qui sait que les alcalis excitent l’estomac et augmentent l’activité de ses sécrétions, prévoira que malgré la neutralisation d’une certaine quantité de l’acide par l’alcali, cet effet chimique sera plus que compensé par l’effet physiologique de l’augmentation de la sécrétion ; et, par suite, il prescrira

  1. Hunter, Leçons d’introduction, 1784, p. 75.
  2. Un moyen d’obtenir une sécrétion abondante de salive, c’est de mettre un animal à jeun en présence d’une nourriture qu’il ne puisse atteindre. Le désir ainsi excité, fait couler le liquide copieusement.