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lisation des phénomènes spéciaux dans des parties spéciales de l’organisme. Quand je dis que c’est l’homme et non pas le cerveau qui pense, je n’entends aucunement suggérer que le cerveau ne soit pas le facteur capital, essentiel du processus. Sans un système nerveux il ne pourrait y avoir rien qui ressemble à ce que nous connaissons comme états de conscience ; sans cerveau ou centre nerveux supérieur il n’y aurait que peu ou point de ces groupes complexes d’états sensibles que nous connaissons sous le nom d’Émotion, de Pensée, de Volonté. Mais le cerveau et le système nerveux ne sont que les parties d’un organisme vivant, et leurs fonctions ne sont que les spécialisations des propriétés générales de cet organisme ; séparez le cerveau de tous les processus vitaux qui se passent dans l’organisme et vous supprimez l’instrument de la conscience. Le matérialiste affirme que le cerveau sent et pense, comme l’estomac digère et comme les poumons respirent. Je réponds, oui : mais l’estomac ne digère pas, les poumons ne respirent pas, à moins qu’ils n’appartiennent à un organisme vivant. Une idée arrêtera la digestion ; un léger excès d’acide carbonique arrêtera la respiration, pour les mêmes raisons que la suppression d’une sécrétion rendra l’esprit triste, qu’un excès d’acide carbonique l’abrutira, que la présence d’un ver dans l’intestin, le troublera, et que l’obstruction d’une artère l’anéantira. Ce n’est pas ignorer les spécialisations physiologiques que de les considérer comme des degrés dans l’évolution générale de l’organisme.

Et cela me conduit à remarquer que la doctrine de l’évolution est elle-même une protestation contre les interprétations mécaniques du matérialisme, puisque sa position capitale, c’est que tout phénomène de l’ordre le plus élevé et le plus complexe, tout en sortant des conditions d’un ordre inférieur, a son origine dans cette différentiation de complexité. L’évolution réclame, non pas seulement une corrélation de parties, mais une différenciation de parties et une corrélation d’états, — c’est-à-dire que les phénomènes ont leurs antécédents historiques, aussi bien que leurs antécédents mécaniques, chaque état étant le produit de tout ce qui le précède. Ainsi l’ovule ne peut être fécondé avant que la vésicule germinative ait disparu ; l’excitation d’un organe sensoriel ne peut produire une sensation avant que l’organisme ait été instruit à réagir et avant que l’irradiation générale qui succède à une excitation ne se soit restreinte à un sentier défini. Les instincts qui ont un aspect mécanique, sont néanmoins subordonnés à cette loi du développement, et ils seront supprimés si l’on interrompt la succession régulière des expériences.

Après avoir ainsi indiqué brièvement les raisons pour lesquelles