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analyses. — a. fouillée. L’idée du droit.

jours le pavillon scientifique. C’est de cette idée — la même, au fond, qui a inspiré l’Esprit nouveau de Quinet — que procède la théorie du droit de M. Fouillée. Voici maintenant comment elle se développe. Le déterminisme est la forme de l’évolution. Quel en est le contenu ? La liberté — entendons par là l’autonomie de la volonté individuelle enveloppant comme condition l’union des volontés — est, au moins pour l’homme, le suprême désirable. Ce n’est qu’une idée ; mais les idées sont des motifs, des forces. L’idée de la fin devient la principale cause efficiente, et l’évolution devient l’évolution de la liberté. Elle l’est peut-être universellement, car il est probable que le fond des choses est la volonté ; seulement il est inutile de spéculer sur le fond des choses. Elle le devient, et c’est ce qui importe[1]. Alors, d’une part, le jeu des forces et des désirs tourne au profit de la liberté ; la plus grande force, l’intérêt suprême consistent de plus en plus à être juste et charitable. Qu’à un moment de l’évolution la force opprime le droit, le fait est peut-être nécessaire, mais il ne devrait pas être, puisque l’oppresseur, en accablant autrui, s’affaiblit lui-même et ne sera pas finalement le plus fort ; il va contre le but qu’il se propose d’atteindre. Donc au point de vue du naturalisme même, le droit doit être inviolable[2]. Et d’autre part, dans la lutte des forces et des intérêts particuliers, chaque personne garde les attributs idéaux de la liberté, l’autonomie inviolable. Que si l’une d’elles se réclame de son indépendance pour refuser aux autres le concours de sa volonté, le fait ne devrait pas être ; mais l’inviolabilité doit subsister. La personne a le droit de mal vouloir, parce qu’ainsi seulement elle peut bien vouloir, et l’évolution sociale atteindre sa fin. Donc, au point de vue de l’idéalisme même, la mauvaise volonté doit être inviolable[3]. On voit comment tombent la plupart des objections faites à M. Fouillée. Sa théorie du droit est à la fois une doctrine naturaliste et une doctrine idéaliste. Elle tiendrait également bien dans le cadre de l’évolutionnisme de M. Spencer et de la logique hégélienne. Qu’on me passe la formule, c’est un monisme immanent, tout comme la philosophie de M. Spencer ou de tel des successeurs de Hegel ; mais elle a un grand mérite, une originalité propre : c’est d’être un monisme libéral. Les théories qui ont aujourd’hui la faveur publique, positivisme, transformisme, etc., enseigneraient plutôt aux jeunes esprits le dédain du droit et de la justice idéale. M. Fouillée prétend faire sortir de ces doctrines, tout en conservant l’étiquette scientifique, une doctrine de liberté et, si je l’entends bien, toute une morale sociale, la morale d’une

  1. Il y a là, néanmoins, un point bien délicat. M. Fouillée admet-il que le déterminisme mécanique de la nature se transforme à un moment donné en un déterminisme dynamique ? Alors je ne comprends pas comment le passage s’opère sans solution de continuité. Ou bien le mécanisme n’est-il que l’enveloppe des choses ? Alors il faut poser la spontanéité quasi-morale de tous les êtres comme la condition essentielle de la possibilité de la liberté.
  2. Cf. l’objection de M. Renouvier, Critique philosophique, numéro 14.
  3. Cf. l’objection de M. Janet, article du Temps déjà cité.