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analyses. — v. brochard. De l’erreur.

ralement d’obéir à notre raison, ne sommes-nous pas obligés de croire ce qu’elle nous condamnerait à affirmer fatalement si nous n’étions pas libres ? Entre deux affirmations dont l’une est inconciliable avec l’autre, n’est-il pas moralement obligatoire de préférer celle qui ne porte aucune atteinte aux lois de l’entendement ou de l’expérience sensible ? Cette condition satisfaite, la morale n’a plus à intervenir, et des motifs d’un autre ordre peuvent influer sur nos croyances. Donc la certitude n’a rien de fatal et le second postulat des dogmatiques est réfuté. Il va en être ainsi du troisième postulat.

Oublions maintenant le rôle de la volonté libre, et considérons à nouveau la synthèse mentale, matière première de l’affirmation, demandons-nous d’abord quelle est la nature de l’erreur. Il s’agit de démontrer qu’elle est tout autre chose qu’une forme de l’ignorance et qu’elle renferme un élément positif.

D’abord, si l’on considère les notions unies dans mainte fausse synthèse, il est aisé de voir que cette union est absolument impossible à quelque degré que ce soit. Sans doute, quand j’affirme que le soleil est plus petit que la terre, j’exprime sous une forme inexacte cette vérité, à savoir qu’il nous paraît tel. Mais toutes les erreurs ne sont pas de cette forme, exemple celle-ci : l’or potable est un remède universel.

En outre, pour se tromper, il faut dépasser la constatation de l’apparence actuelle au moment où la conscience la saisit. Il faut généraliser, et pour opérer une généralisation fausse il faut détourner de leur destination les modes de la pensée, mettre dans sa pensée plus qu’elle ne devrait contenir. Est-ce là pécher par défaut ? n’est-ce pas plutôt pécher par excès ? Donc, en tant que l’erreur suppose un acte de généralisation, il est vrai de dire qu’elle renferme un élément positif.

« Il est vrai que peut-être, ajoute M. Brochard, nous n’attribuerions pas à la synthèse fausse ce caractère de généralité si nous avions présents à l’esprit les faits ou les idées qui, apparaissant plus tard, seront inconciliables avec elle. En ce sens, l’erreur suppose une privation. Toutefois, si l’acte de généralisation a pour condition l’absence de certaines notions, on ne peut dire que cette privation suffise à expliquer l’acte de généralisation en lui-même. Comment ce que je ne pense pas actuellement pourrait-il me contraindre à penser quelque chose ? Quelle est cette réaction de la pensée absente sur la pensée présente, de ce qui n’est pas sur ce qui est ? De ce que j’ignore les raisons qui m’empêcheront plus tard de considérer ma synthèse comme vraie, il ne s’ensuit pas que je la doive considérer dès maintenant comme vraie ; si je m’en tiens à ce qui m’est donné, je la considérerai comme une hypothèse[1]. Cela revient à dire que, envisagées l’une et l’autre dans leur origine, la vérité et l’erreur ne sont point radicalement différentes. Toute vérité est une hypothèse démontrée ; toute erreur est une hypothèse démentie.

  1. De l’erreur, p. 132.