Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/143

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
133
delbœuf. — le sommeil et les rêves

tous étaient attirés vers ce même centre d’attraction. Du bout de l’horizon partait une longue procession de ces reptiles, ayant l’air d’accomplir un pèlerinage ; et c’était un spectacle charmant de voir les mouvements ondulatoires de leurs queues… Quel était le motif de cette émigration ? Je revins près de l’asplenium, qui cette fois n’était plus dans ma cour, mais croissait en touffes serrées dans une clairière au centre de la forêt, et je m’aperçus qu’il répandait une odeur suave qui ne se révélait d’ailleurs à mes sens que si je froissais la plante entre les doigts. Je fis alors cette réflexion que, quoi qu’en dise Brillât-Savarin, on pouvait rêver d’odeurs… »

Voilà mon rêve. Il est facile d’en reconstruire une partie avec des réalités connues. On trouvera naturel, vu mes récréations favorites, que des lézards y apparaissent, et que je compatisse à leurs infortunes. La cour est bien celle de la maison que j’habitais alors ; mais il va de soi que ce n’était pas là que mes lézards étaient logés. Je m’enquiers de la cause qui met en mouvement les autres lézards. Ceci est encore conforme à mes habitudes. De tout temps je me suis intéressé aux allées et venues des animaux ; j’aime à deviner les motifs de leur conduite et à observer leurs mouvements, pour voir si mes conjectures sont exactes. Je m’étonne à plusieurs reprises ; cela m’arrive assez fréquemment. Je suis de ceux qui, à l’état de veille, s’étonnent volontiers de tout. Enfin, je me rappelle la lecture de Brillât-Savarin faite le soir, et j’ai comme la conscience que je rêve. Cette façon de rêver qu’on rêve paraît, à première vue, assez extraordinaire ; c’est là cependant ce qui m’est arrivé jadis plusieurs fois et qui m’arrive aujourd’hui de plus en plus communément, depuis que je m’occupe du sommeil et que je tiens note de mes rêves. Dans mon premier article, je rappelle un cas semblable[1]. Plusieurs personnes que j’ai interrogées m’ont assuré avoir bien des fois éprouvé la même chose. Ces faits et gestes, ces sentiments, ces réflexions appartiennent, comme je l’ai déjà dit dans mon second article[2], non au moi qui rêve, mais au moi de tous les jours.

Il y a un détail de mon rêve qui n’a laissé aucune trace dans mon souvenir. C’est celui qui a rapport à mon ami V… V… Quel nom cachent ces initiales ? J’ai beau passer la revue de mes amis de cette époque, je ne parviens absolument pas à le retrouver.

Tout cela ne soulève aucune difficulté. Mais l’Asplenium ruta muralis ou muraria est resté longtemps pour moi un problème insoluble. Voilà un nom de plante, assez barbare, que je ne pouvais certes avoir inventé — car la coïncidence eût été, on peut le dire,

  1. Octobre 1879, p. 345.
  2. Novembre 1879, p. 501.