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laissons ces problèmes aux naturalistes de profession. Retenons seulement ce fait général que, partout où des causes différentes ne sont pas en jeu, l’oiseau et même le mammifère tendent à revêtir la couleur qu’offre à leurs regards le milieu environnant. Les exemples sont trop nombreux pour que nous les énumérions ici[1].

Voilà une cause bien déterminée de spécification des couleurs. Cependant, s’il faut dire quand cette cause agit sans entraves ou quand elle laisse place à l’intervention d’autres causes, la réponse fait défaut, à moins qu’on ne recoure à quelque nouveau principe. Les quatre agents ci-dessus indiqués, lumière et chaleur, nourriture, énergie vitale, vue de la couleur environnante sont en quelque sorte la matière de la coloration animale ; il reste à découvrir pourquoi c’est l’un de ces agents qui prévaut dans chaque cas particulier, et dans quelle mesure ils contribuent, quand ils concourent, au résultat général. C’est ici que le rôle de la sélection naturelle commence. Quand l’animal n’a rien à redouter des couleurs voyantes dont son régime tend à le revêtir, ces couleurs se développent sans obstacle ; c’est le cas des espèces tropicales qui ont eu un combat moins âpre à soutenir pour subsister ; c’est le cas des espèces de tous les pays, même celles des pays tempérés, qui ont trouvé quelque moyen, soit la rapidité de leur fuite, soit la vigilance de leur attention, soit même le goût nauséabond de leurs tissus, d’échapper à leurs ennemis. Quand au contraire l’animal est sans défense et qu’il a intérêt à se cacher, comme le second groupe de couleurs, celles qui tendent à l’imitation des tons environnants, a pour-effet de protéger celui qui en est doué, c’est celui-ci qui a le plus de chances de se produire. L’analyse des différents effets de la sélection, puis des conditions particulières de l’habitat et du régime alimentaire pour chaque espèce, sera nécessaire pour déterminer les causes de sa coloration. C’est un travail immense, qui ne peut être achevé ni par un homme ni par une génération il ne sera d’ailleurs accompli avec succès que quand la chimie biologique, encore sans réponse sur ces difficiles problèmes, aura réalisé des progrès depuis longtemps attendus[2].

Dans ce travail, on ne saurait trop se garder d’abuser de la sélection naturelle, principe fécond, mais limité dans ses effets. La sélec-

  1. (Revue scientifique du 3 septembre 1879), Wallace, Sélection naturelle, pages 49 et suivantes.
  2. M. Wallace parle avec faveur des travaux de M. Sorby sur les différentes colorations que peut revêtir la chlorophylle dans les tissus végétaux et sur les éléments chimiques des couleurs dans les plumes et les œufs des oiseaux. Là est le nœud de la question. (P. 184 et 221 de Tropical Nature.) M. Allen n’ignore pas du reste ce côté de la question ; voyez p. 48. Pour les recherches de Sorby, il renvoie aux mémoires de la Société royale, vol. XVI et XXI, et au journal Nature, 1871.