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espinas. — le sens de la couleur

que quand ils volent. Quand les papillons volent au soleil ou se posent sur les fleurs, on voit qu’ils s’efforcent de faire valoir l’éclat de leur parure. S’agit-il ici d’un sentiment de la beauté semblable au nôtre ? Non ; il suffit qu’on admette la sensation de l’éclat : chaque papillon cherche à attirer l’attention de ses semblables de l’autre sexe. La sensation excitée est de la même famille que celle du papillon en présence d’une bougie : l’éclat de la couleur l’attire, comme la lumière elle-même.

La démonstration est un peu plus difficile quand on passe aux vertébrés.

Nous avons considéré comme évident le discernement de la couleur chez les vertébrés. M. G. Allen a consacré tout un chapitre à en fournir la preuve. Ce sens remonte probablement aux formes ancestrales primitives de l’embranchement. Les premiers types qui commencèrent à se différencier en ce sens vivaient dans la mer, et l’on sait quelle profusion d’organismes inférieurs brillamment colorés s’y trouvent réunis, depuis les anémones de mer et les coraux jusqu’aux ascidies et aux mollusques. « Dans un tel milieu, il était presque impossible qu’un sens de la couleur ne prit pas naissance. » On sait que de nombreux poissons changent de couleur avec le fond où ils reposent, que plusieurs se précipitent sur les loques rouges qu’on accroche après les hameçons, que la truite reconnaît ses espèces de mouches favorites et dédaigne les mouches artificielles mal imitées, etc. Les amphibies ne sont pas dépourvus de la même faculté : Kühne, de Heidelberg, ayant placé des grenouilles dans un bocal mi-parti vert et bleu, les vit se réunir toutes dans la partie verte. Comme les poissons et certaines grenouilles, les caméléons changent de couleur suivant l’objet au-dessus duquel ils se trouvent. Les lézards et les reptiles voient si bien les couleurs, que les surprenantes imitations des insectes (feuilles, branches, etc.) n’ont pas d’autre but que de leur échapper. Pour ôter toute défiance à des grenouilles et à des lézards, un serpent de l’Amérique du Sud a pris l’aspect d’une liane, au point que le naturaliste s’y trompe. Les faits analogues abondent pour les oiseaux : chose singulière, ils font presque entièrement défaut quand on en vient aux mammifères. Cela tient au régime de ceux-ci, qui, pour le plus grand nombre du moins, ne recherchent pas les parties brillantes des végétaux : herbivores ou carnivores, la couleur devait leur rester indifférente ; mais il n’en est pas de même des singes et des écureuils, qui se nourrissent de fruits. Quelle est donc la cause de cette universelle coïncidence ? Il ne suffit pas de la constater ; il faut l’expliquer. Pourquoi les animaux qui se nourrissent d’objets brillants sont-ils eux-mêmes brillamment