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représenter les rapports de l’Être universel aux individus, je serais contraint d’imaginer ces rapports d’après des analogies empruntées au monde de la réalité finie : mieux vaut accepter le mystère, qui est la loi même de la vie, comme un fait primitif et nécessaire, que de chercher des explications fatalement contradictoires. La raison nous donne l’idée d’infini, nous l’acceptons comme l’unité suprême, dernier terme du travail synthétique de l’esprit ; mais c’est à l’expérience seule qu’il appartient de déterminer cette idée en nous révélant, avec les existences particulières leurs lois et la nature de leurs rapports à l’Être universel, dans l’unité de la vie duquel elles sont comprises. C’est à l’expérience de remplir le tableau dont la métaphysique a tracé le cadre immense. La métaphysique et la science réconciliée travaillent à la même œuvre, la connaissance de la réalité. « De l’Être universel conçu comme tel à la plus simple de ses formes, à la plus générale des lois de son développement, il y a un abîme que nulle dialectique ne peut combler. Du moment qu’il s’agit de réalité, il n’y a pas de théologie, de métaphysique, ni de logique, qui puisse faire l’œuvre de l’expérience[1]. »

C’est l’expérience qui nous impose la coexistence du fini et de l’infini, l’indépendance des individus dans l’unité de la vie universelle ; c’est elle encore qui nous révèle la loi de progrès, qui domine tout le développement de l’activité infinie. « À toutes ses phases et dans toutes ses directions, l’Être universel procède du simple au composé, de l’abstrait au concret, de l’inorganique à l’organique, du moindre être à l’être plus complet. Tout mouvement de la nature ou de l’humanité, de règne en règne, d’époque en époque, est signalé par un accroissement d’être et de vie. L’Être cosmique, le Dieu vivant, aspire sans relâche et sans repos à la perfection idéale ; sa loi est de s’en rapprocher sans jamais pouvoir y atteindre. » Ainsi le monde est l’histoire du Dieu vivant, histoire dramatique, dont le héros est l’Être infini remplissant l’espace et le temps de sa lutte pour l’idéal, lutte héroïque, qui ne nous montre plus seulement en Dieu l’unité de la vie universelle, mais la continuité du plus grand des efforts soutenus par la plus haute des espérances. L’existence du monde prend un sens, l’heure présente se relie à l’heure passée, comme le réel au possible, comme le bien accompli au désir, qui déjà lui donnait une réalité idéale ; ce qui est prépare ce qui doit être ; tous les instants de la durée se tiennent comme les idées d’une intelligence qui s’élève en s’éclairant : à chaque œuvre faite, la nature se recueille, cherche le meilleur qui pourrait sortir de ce bien relatif, le conçoit, le désire et le réalise ; dans la dispersion de la matière sans forme,

  1. T. III, p. 386-328.