Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/212

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
202
revue philosophique

gibles et dont le seul apport est une loi qui ne lui permet de s’arrêter ni dans la quantité ni dans la qualité. De cette loi naissent deux idées, avec lesquelles se fait la métaphysique, l’idée de l’infini, l’idée du parfait. Ces deux idées sont des formes vides, on les remplit avec l’expérience. On coordonne les sciences dans l’infini, les êtres particuliers dans l’Être universel ; on trouve dans ce qui est les éléments du Dieu idéal, supérieur à toute réalité. La métaphysique ne consiste pas à sortir du réel, mais à l’ordonner. La raison ne nous élève pas au-dessus du monde, elle nous donne les cadres nécessaires à la synthèse universelle des phénomènes. Toutes les qualités dans le parfait qui n’existe pas, qui ne peut pas exister : c’est l’idéal, c’est le refuge de l’âme qui s’inquiète ou s’indigne, c’est l’oratoire, où l’esprit se recueille, s’exalte et s’adore sous la forme de Dieu. Toutes les réalités dans l’infini dont l’existence s’impose par cela seul que le néant ne peut être conçu. La métaphysique ne se distingue pas de la science. La science est souveraine dans le monde de l’infini, comme dans le ciel de la perfection. Ce sont ses procédés d’analyse et d’abstraction qui nous donnent les conceptions métaphysiques ; c’est elle qui remplit ces cadres ; c’est elle qui révèle les types que coordonne l’idée du parfait ; c’est elle qui ramène les faits aux idées dont ils se déduisent, qui résume les phénomènes dans les lois particulières, les lois particulières dans les lois générales, celles-ci dans de vastes formules, où s’entrevoient les conséquences immédiates de l’axiome, vérité toute-puissante, qui concentre dès l’éternité les déductions infinies de la logique universelle. Alors que M. Vacherot parlait ainsi, quelqu’un l’écoutait, et M. Taine méditait la belle conclusion de son livre sur les philosophes français du xixe siècle[1].

Telle est la première philosophie, sorte de platonisme empirique, qu’on peut dégager de l’œuvre de M. Vacherot. Elle est déduite de la théorie de l’intelligence, qui elle-même a son origine dans le désir de donner à la métaphysique une certitude égale à la certitude des sciences positives en la construisant par les mêmes procédés. Cette philosophie ne cache-t-elle pas une illusion qui, de la théorie de la connaissance, passe dans la théorie de la réalité ? Est-il vrai que la métaphysique soit en face du monde comme la science ? — La science positive se borne à dire : Voici comment j’ai toujours vu les faits se passer ; la métaphysique prétend atteindre les lois nécessaires de l’Être. L’abstraction ne peut ajouter à l’expérience la nécessité ; on n’abstrait d’une chose que ce qu’elle contient ; l’abstraction

  1. H. Taine, Les philosophes français du XIXe siècle, p. 340 sq.