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une association d’idées. Au moment où, éprouvant une sensation sucrée, j’évoque l’idée d’une sensation analogue et antérieure, cette dernière est-elle une idée nouvelle, distincte de la première, ou n’est-elle que la première, accompagnée du jugement de reconnaissance, marquée de ce signe spécial qui distingue le souvenir de l’idée actuelle ? Si, comme il semble que c’est évident, pour qu’il y ait association, il faut au moins deux idées, on pourrait soutenir que dans les exemples cités il n’y a point d’associations d’idées.

Mais, en admettant même qu’il y ait une dualité, l’idée présente ne peut être jugée semblable à l’idée passée qu’à la condition d’en être aussi distinguée par quelque côté. Or en quoi peut consister cette différence, sinon en ce que l’idée, en tant qu’elle est jugée antérieure, est accompagnée d’une conscience aussi confuse qu’on voudra la supposer, mais toujours réelle, de quelques-unes des circonstances qui l’ont accompagnée la première fois ? Ici encore, la prétendue association par similarité suppose, comme condition, une suite d’états qui reparaissent dans la conscience en vertu de la seule loi de contiguïté : la ressemblance n’est aperçue que quand l’association est déjà faite.

En résumé, les choses se passent toujours de la manière suivante. Une sensation étant actuellement donnée, en même temps que d’autres idées prennent actuellement naissance, la conscience voit renaître spontanément les états qui ont dans les expériences antérieures accompagné la première sensation ; il y a un mélange, un entrecroisement du passé et du présent. — Entre ces éléments de provenances diverses, la pensée peut mettre de l’ordre ; elle découvre des rapports de ressemblance ou de contraste, peut-être d’autres. — En outre, l’intelligence humaine ayant la propriété de dissoudre ses idées, de faire voler pour ainsi dire chaque concept en mille fragments, des associations peuvent être formées entre chacun de ces fragments et une infinité d’autres, par suite entre les touts dont ils font partie. — Enfin, de ces fragments épars, l’esprit peut former des composés nouveaux, comme, après avoir brisé une montagne par la mine, on peut utiliser, pour construire des édifices, les pierres qui la composaient. Tantôt la pensée associe ces éléments capricieusement et comme au hasard : elle ressemble à ces tubes où sont disposés des morceaux de verre de différentes couleurs et qu’il suffit de secouer légèrement pour produire les combinaisons les plus brillantes, ou au contraire les plus étranges et les plus discordantes. Tantôt elle les assemble en vue d’un but sérieux et d’après des règles sévères : elle ressemble à l’ouvrier en mosaïque qui choisit entre mille petites pierres de formes et de couleurs différentes