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d. nolen. — les maîtres de kant

appétits insatiables qui se disputent la richesse et le pouvoir. Sans eux, toutes les belles facultés des hommes ne se seraient jamais éveillées. L’homme veut la concorde ; mais la nature sait mieux que lui ce que réclame l’intérêt de l’espèce : elle veut la discorde. L’homme veut vivre à Taise et content ; la nature veut au contraire qu’il fuie l’indolence et l’inaction d’une existence satisfaite, et qu’il se précipite dans le travail et la fatigue, pour lui faire trouver habilement les arts propres à en triompher. »

Rousseau croit que l’autorité despotique des rois est née avec les besoins factices, dont elle doit assurer la satisfaction ; qu’elle est en contradiction avec l’indépendance et l’égalité des hommes dans l’état de nature, « L’homme, répond Kant, est un animal qui ne peut vivre au milieu des autres animaux de son espèce sans être conduit par un maître… Il a besoin d’un maître qui brise sa volonté propre et le contraigne à obéir à une volonté générale, qui fait de la soumission de tous la garantie de la liberté de chacun. »

Non seulement le despotisme a sa raison d’être dans les impérieuses nécessités de l’état de nature ; mais la guerre, dont l’âme sensible de Rousseau ne peut assez faire peser la responsabilité sur les vices de l’état social, « la guerre, en dépit des maux effrayants qu’elle cause directement à l’humanité et des souffrances plus grandes encore peut-être qu’elle impose à l’état de paix par les préparatifs constants qu’elle rend nécessaires, est pourtant le stimulant au perfectionnement le plus complet de tous les talents qui servent à la culture. » Le courage guerrier est, aux yeux des sauvages, la plus haute des vertus. Il est aussi pour l’homme civilisé un objet d’admiration ; et la raison justifie ce sentiment. « Que l’homme puisse aimer et se proposer pour but un bien, qu’il estime plus précieux que la vie même, l’honneur, qui implique le renoncement à tout égoïsme, cela ne prouve-t-il pas en une certaine mesure la sublimité de sa nature[1] ? »

Si l’on peut concevoir, pour un avenir bien éloigné encore sans doute, que les relations des peuples seront de moins en moins troublées par la guerre, ce ne sera qu’autant que d’autres luttes, plus pacifiques en apparence, mais non moins redoutables en réalité, celles du commerce et de l’industrie, auront absorbé à leur profit l’activité et les ressources des peuples. Et la fédération des peuples, dont l’Essai sur la paix perpétuelle (1795) entreprend de nous décrire les conditions et les effets et de nous démontrer la réalisation progressive, ne nous promet pas plus, pour l’avenir, que les

  1. La Religion dans les limites de la raison, p. 138.