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fait étant données, le fait est donné par cela même. La conséquence en pratique, c’est la possibilité de modifier les phénomènes en modifiant leurs antécédents, par conséquent la perfectibilité du déterminisme même dans les limites de la science et par le moyen de la science, sans aucune fatalité à priori qui s’impose d’en haut, sans autres conditions que les conditions mêmes de la nature ou de la pensée. De là une certaine liberté réglée et une perspective de progrès réglé, qui ne peut s’accomplir que par voie d’évolution, quelquefois par révolutions naturelles, jamais par révolutions arbitraires.

À nos yeux, cette conception de la science sociale est la vraie ; elle n’a besoin que d’être complétée ou appliquée jusqu’au bout pour résoudre tous les problèmes de l’ordre scientifique qui concernent l’humanité. Est-ce à dire que nous ne voulions rien retenir des spéculations de la philosophie de l’histoire ? Nullement ; mais on doit d’abord les rectifier et les mettre ensuite à leur vraie place, si on veut les réconcilier dans ce qu’elles ont de plausible avec les données de la science positive. Ces spéculations sont métaphysiques, par conséquent hypothétiques ; il faut donc les donner pour ce qu’elles sont, non pour des dogmes ou des certitudes ; il faut de plus les renfermer dans leur vrai domaine, dans la sphère transcendante, sans les mêler aux choses d’expérience. Enfin, ainsi mises à leur vraie place, les conjectures sur le plan du monde et de l’histoire doivent être soumises aux règles ordinaires des hypothèses, au contrôle de la logique, au calcul ou à l’appréciation méthodique des probabilités. Ce travail fait, non seulement les deux régions de la métaphysique et de la science sociale n’empiéteront plus l’une sur l’autre et ne donneront plus lieu à des controverses sans issue, mais un rapprochement et un trait d’union deviendront possibles entre les deux.

Le moyen terme capable de les relier, nous le demandons, ici comme dans les autres parties de la philosophie, à la notion des idées-forces ; — notion destinée selon nous à opérer un utile rapprochement entre les systèmes contraires[1]. Qu’y a-t-il en effet de vrai dans la philosophie métaphysique de l’histoire ? C’est cette pensée que la société humaine a un certain idéal qu’elle prend pour fin, et dont la poursuite plus ou moins consciente doit donner un sens à son histoire. Or une telle proposition, prise ainsi dans sa généralité, n’a absolument rien d’incompatible avec la sociologie positive ; et cependant elle exprime un point de vue trop négligé des sociologistes. Sans doute les métaphysiciens se représentent mal

  1. Voir notre étude sur les Idées-forces dans la Revue philosophique de juillet 1879.