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pensée, un argument qui n’est qu’une confusion : en fait, le supérieur naît de l’inférieur. Oui, en fait, le supérieur a sa condition dans l’inférieur, l’intelligence dans la vie, la vie dans les propriétés physiologiques des tissus ; mais condition n’est pas cause, ce qui est nécessaire peut n’être pas suffisant. L’être ne s’explique pas par ses éléments, mais par le principe supérieur qui les domine et les organise, par l’âme une, identique et forte, qui en soutient pour ainsi dire le fardeau. L’abstrait pour élément, la contradiction pour loi, voilà tout le matérialisme[1].

Interrogeons la conscience[2]. Elle ne nous donne plus seulement l’apparence ; avec elle, nous allons jusqu’à l’être que nous sommes, jusqu’à la réalité vivante, et comme nous ne sommes pas isolés de l’univers, comme nous sommes plongés en lui, pénétrés par lui, cette connaissance de nous-mêmes est une révélation de la nature des choses. Puisque tout est force, tout est spirituel, nous n’avons plus à résoudre le problème insoluble de l’union de deux substances sans rapport ; il y a des différences de degré, non des différences de nature, et la marche ascendante du monde vers la pensée n’est plus l’absurde génération du plus par le moins, de l’inétendu par l’étendu, de l’esprit par la matière. Ce sont les monades, forces semblables à celle dont nous prenons conscience en nous-même, qui par leurs combinaisons successives produisent l’infinie variété des phénomènes et des êtres : le monde inorganique, qui est l’effet le plus simple de leur union féconde ; puis, par la poursuite du perpétuel effort qui résulte de leur nature essentiellement active, le monde organique et au-dessus de la vie la conscience, qui n’est que l’exaltation suprême de ces forces primitives multipliant leurs effets par leur concours.

Les idéalistes ne sont pas satisfaits. L’univers n’est pas une collection de forces, « une multitude d’individus, rattachés entre eux on ne sait comment ni pourquoi, sans lien intime de parenté, sans racine commune, sans unité de fin, de moteur ni de substance. » Avec cet éparpillement d’individus s’agitant dans l’espace, comment expliquer que les êtres se pénètrent jusqu’à se confondre et que de cette fusion de tout ce qui est naisse l’unité du monde ? Par l’intervention d’un Dieu personnel[3] ! Mais la raison ne se contente pas de cette intervention d’un individu, imaginé sur le modèle de l’homme, sorte de roi absolu, très sage et très puissant, qui par une action mystérieuse fait tout ce qu’on ne peut expliquer sans lui. Pour l’imagination, l’univers se brise en morceaux et s’émiette en un

  1. Tome ii, p. 250-263.
  2. Tome i, p. 201-238.
  3. Tome ii, p. 263-300.