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H. LOTZE. — L’INFINI ACTUEL EST-IL CONTRADICTOIRE ?

tendre à l’infaillibilité ; mais j’aurais voulu que M. Renouvier, au lieu de se placer à un point de vue qui rend impossible toute conclusion positive, eût développé ses propres idées de manière à me convaincre qu’il y a d’autres moyens de satisfaire à des postulats scientifiques dont nous ne cesserons pas de sentir la nécessité. On voit qu’il serait superflu de prolonger le débat sur ces questions générales. Mais M. Renouvier s’est attaché plus particulièrement à une question spéciale qu’on peut discuter plus utilement, celle de l’infinité de l’espace et du temps. Dans le développement de mes idées, j’ai été amené incidemment, alors que je voulais confirmer la théorie de Kant, tout en montrant que cette théorie ne peut se défendre par les arguments de son auteur, à faire sur cette question des réflexions qui m’ont valu les critiques de M. Renouvier. Mais ce philosophe n’a pas pu saisir exactement ma pensée, à cause d’une erreur de traduction qui défigure le § 106 de mon livre. Ce passage, tel qu’il est traduit dans la Critique philosophique, commence ainsi : « Le monde réel ne peut pas être infini dans l’espace, parce que l’infinité ne peut être conçue que comme une succession illimitée, mais non comme simultanée. » Cette traduction est exacte à la rigueur ; mais il aurait fallu voir dans cette phrase l’expression d’une opinion que je venais de réfuter, loin de la partager, et, en serrant le texte de plus près, le traducteur aurait dû dire : « On refuse d’attribuer au monde réel l’infinité d’étendue dans l’espace, parce qu’on ne croit l’infini concevable que comme succession illimitée, jamais comme simultanée [1]. » Cette rectification faite, je ne peux pasaccepter l’approbation que M. Renouvier veut bien m’accorder [2] ; car je n’ai pas dit que le monde des réalités est fini, et je n’ai pas approuvé cet argument, à savoir qu’une suite illimitée de choses quelconques ne peut former un ensemble simultanément existant. Par cet aveu, je m’expose sans doute à la censure de M. Renouvier ; mais il reconnaîtra du moins combien sont peu mérités les reproches qu’il m’adresse un peu plus loin [3] pour avoir froidement admis ce que j’avais d’abord déclaré contradictoire.

  1. Voici la phrase allemande : « 106. Die reale Welt soll nicht unendlich im Raume sein können, weil Unendlichkeit nur als unbegrenzte Succession aber nicht gleichzeitig gedacht werrien kônne. » (Met., p. 202.)
  2. « M. Lotze admet sans hésiter, si nous le comprenons bien, que le monde des réalités est fini, et cela pour cette raison, qui est aussi la nôtre, qu’une suite illimitée de choses quelconques ne peut former un ensemble simultanément existant ; en d’autres termes, que parler d’un tout donné, et cependant infini, c’est énoncer une contradiction in adjecto. » (Crit. phil., p. 36.)
  3. « Et ce n’est pas tout ; car, si l’on accédait à la demande de M. Lotze (de lui accorder que les espaces existent simultanément tous à l’infini, atteints ou non atteints), il recevrait implicitement plus que, si nous ne nous trompons,