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H. LOTZE. — L’INFINI ACTUEL EST-IL CONTRADICTOIRE ?

trouver l’infiniment grand comme un nombre ; désirant [1] le trouver comme tel, nous ne ferions que contredire la définition que nous avons donnée de cet infini… » Et cependant M. Renouvier s’écrie i « Le nombre infini n’est-il pas une contradiction in adjecto ? » — « Nous nous répétons, ajoute-t-il, mais c’est qu’il faut redoubler les coups sur les préventions intellectuelles, sur les habitudes enracinées de l’esprit, avant de parvenir à les ébranler. » Je me répète aussi : avant de faire la critique d’une pensée, il- faut la comprendre ; il sera toujours inutile de redoubler des coups qui ne portent sur rien.

Ce n’est pas du tout de l’usage des mots qu’il s’agit ici, mais du véritable différend qui nous sépare, M. Renouvier et moi. Selon lui, l’existence de l’infini est impossible, parce que nous ne parvenons pas à l’atteindre par la synthèse de ses éléments ; selon moi, l’infini, s’il en est un, ne peut jamais, étant donnée sa nature, être épuisé par l’addition de ses parties finies. Ainsi, toutes les fois que les termes d’une série à continuer sont de telle nature qu’on ne puisse les concevoir que comme se succédant l’un à l’autre, il est impossible que cette série forme jamais un tout achevé, mais il ne s’ensuit en aucune manière que la succession elle-même soit impossible parce qu’elle ne finit pas. C’est ce que nous voyons lorsqu’il s’agit du temps. La nature du temps nous interdit de considérer comme simultanés deux de ses moments ; pour ceux mêmes qui seraient disposés à attribuer au temps vide une réalité, ce qui est impossible, à mon avis, il ne se présenterait pas comme un tout achevé, et personne ne l’a jamais imaginé sous cette forme ; mais, s’il était possible d’attribuer de la réalité aux termes et à la succession des termes qui composent ce torrent du temps vide, ce ne serait assurément pas la perpétuité de cette succession qui nous porterait à contester cette réalité. M. Renouvier oublie ou laisse oubliera ses lecteurs que c’est moi qui me suis d’abord placé au point de vue de ceux dont l’antinomie kantienne suppose les opinions pour les réfuter, et il croit devoir corriger ma manière de penser. « Si le temps, dit-il, devait être envisagé en effet de cette façon (comme allant de l’avenir au passé), c’est le temps en son entier, sans commencement ni fin, et composé d’un nombre sans nombre de moments distincts, que nous soutiendrions ne pouvoir posséder une existence en soi, vu la contradiction inhérente à l’infini actuel. Le temps serait alors une espèce de coexis-

  1. « Setzen wir die Zahlenreihe durch Hinzufügung der Einheit fort, so kann freilich das Unendlichgrosse nicht als eine Zahl gefunden werden, mit welchem verlangen wir nur unserer Définition derselben widersprechen wùrden. » (Met., p. 278). Le traducteur avait lu : Quelque désir que nous ayons de contredire la définition que nous avons donnée de cet infini.