Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/56

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
46
revue philosophique

La théorie est faite aussi bien pour plaire aux savants et forcer leur adhésion. M. Vacherot leur dit : « Vous ne contestez pas le principe d’identité, vous faites un usage constant de l’analyse et de l’abstraction, je n’ai besoin de rien de plus pour construire la métaphysique. » Étant donné le monde, il s’agit d’en faire sortir le vrai ; le problème de la philosophie n’est pas différent du problème de la science. C’est en observant ce qui est que la perception saisit les rapports de coexistence qui constituent l’espace, les rapports de succession qui constituent la durée ; c’est par l’analyse de la réalité que l’entendement dégage les notions qui font les choses intelligibles ; la raison ne nous fait pas sortir du monde, elle nous y laisse ; son œuvre n’est pas de nous révéler un être surnaturel, de nous faire penser en dehors de toutes les conditions de la pensée ; elle nous donne un cadre qui nous permet la synthèse universelle des phénomènes, mais c’est à l’expérience de remplir ce cadre : « à elle seule il appartient de donner la connaissance précise des choses et des êtres auxquels s’appliquent nos conceptions métaphysiques. » C’est cette inquiétude de concilier la métaphysique et la science qui domine toute la théorie de l’intelligence de M. Vacherot. La science des savants est tout entière dans les faits, dans les lois, dans le monde dont il faut l’extraire ; la science des philosophes n’est pas hors du monde, elle doit s’y enfermer, mais après l’avoir fait infini. De cette volonté de tout expliquer par l’expérience et l’abstraction résultent la négation du Dieu personnel, la négation de l’Être parfait, et la réalisation de l’infini dans l’univers. Que la totalité des êtres réalise l’infini, il n’y a rien là qui nous fasse sortir de l’expérience et nous contraigne d’en appeler à une faculté mystérieuse sans rapport avec les procédés scientifiques. Mais si au parfait et à l’infini répond un Dieu personnel, distinct du monde, nous ne pouvons l’atteindre que par un saut brusque hors la réalité phénoménale : le surnaturel n’est pas dans la nature. De même, le parfait ne peut être qu’une loi de l’esprit, puisqu’il n’y a aucun être qui corresponde à l’idéal de la pensée et qu’on ne saurait abstraire le parfait d’un monde qui ne donne que l’imparfait.

G. Séailles.
(La fin prochainement.)