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teur de la pensée critique. La méthode et les principes du criticisme appellent et justifient sans doute ce complément à la doctrine des catégories. On peut dire que le principe de la conservation de l’énergie est implicitement contenu dans la théorie kantienne de l’attraction. Il reste toujours que « les principes métaphysiques de la science de la nature » n’en font pas directement mention ; et cela constitue une lacune regrettable du système critique.

Ed. de Hartmann : Le pessimisme est-il susceptible d’une démonstration scientifique ? La vérité du pessimisme est une vérité de fait, absolument indépendante des hypothèses et des conclusions métaphysiques que l’on y peut rattacher. La somme des maux l’emporte-t-elle dans le monde sur celle des plaisirs ? Là est toute la question ; et l’observation, l’analyse patiente, l’induction méthodique suffisent à la résoudre, avec une certitude égale à celle de toute autre théorie scientifique. Il faut, sans doute, que la démonstration du pessimisme ne se borne pas à de simples aperçus, à un recueil d’aphorismes détachés, mais qu’elle forme un tout bien ordonné, dont les parties soient rigoureusement enchaînées. On doit encore y prendre garde que l’humeur des individus ne tienne trop de place dans leurs appréciations, et que nous n’ayons, dans leurs écrits, moins des jugements que des impressions. Le pessimisme de Schopenhauer se présente trop souvent à nous avec ce double caractère d’aphorismes isolés et de boutades personnelles. Assurément, il est plus difficile, dans un tel sujet que partout ailleurs, de se défendre contre sa sensibilité, contre son propre cœur. Mais l’exemple des poètes ne nous montre-t-il pas qu’il est possible d’analyser et de décrire ses propres sentiments, sans les complaisances et les illusions de l’amour-propre ? S’il est malaisé à l’individu de s’affranchir des influences du désir et de l’éducation, la conscience collective de l’humanité corrige et annule de plus en plus les unes par les autres ces influences contraires. Après tout, le philosophe, en face de la question du pessimisme, se trouve en présence des mêmes difficultés qui entravent, mais sans réussir à l’arrêter, la marche du penseur vers la vérité soit morale, soit politique, soit religieuse. Supposé que le philosophe ait réussi à écarter toutes ces causes d’erreur, et que l’expérience du passé et du présent ait confirmé la thèse du pessimisme, qui répond qu’à l’avenir le rapport du plaisir et de la douleur dans la vie ne sera pas modifié, renversé même ? Les progrès de la science, de l’art, de la moralité ne promettent-ils pas un sort meilleur à l’humanité ? et qu’est-ce que le passé, en regard des perspectives de durée et de perfectionnement que l’avenir ouvre devant nous ? L’induction dément malheureusement ces engageants pronostics. L’expérience nous apprend que le progrès de la félicité est en raison inverse de celui de la culture ; que pour un mal ancien qu’elle supprime la civilisation en fait surgir dix nouveaux ; que l’état de nature est relativement l’état le plus heureux ; que les besoins croissent plus rapidement que les