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analyses. — Herbert spencer. The Data of Ethics.

bilité et des fonctions, on découvre promptement cette vérité nécessaire que, dans le monde des animaux en général, « la douleur est corrélative à des actions nuisibles pour l’organisme, et le plaisir corrélatif à des actes utiles. » En d’autres termes, il y a une connexion primordiale entre les actes qui procurent du plaisir et la continuation, l’accroissement de la vie, entre ceux qui causent de la douleur et la diminution ou la perte de la vie. Le plaisir est donc essentiellement bon au point de vue moral, et la douleur mauvaise. Si l’on refuse d’admettre cette proposition, c’est que des exceptions ont fait perdre de vue la règle elle-même.

Tout le monde sans doute reconnaît que l’appréhension de certaines douleurs physiques et le désir de certains plaisirs nous guident admirablement et nous servent à bien distinguer les actes nuisibles des actes utiles à la vie. Mais on croit volontiers que, en dehors des besoins impérieux auxquels nous ne pouvons résister sans compromettre notre existence, cette direction, bien loin d’être sûre, est mauvaise. Dans certains cas, en effet, nous devons au contraire renoncer à des plaisirs immédiats en vue de fins plus éloignées ; pour l’humanité, telle qu’elle est aujourd’hui constituée, la considération exclusive des plaisirs et des peines les plus proches tromperait souvent. C’est qu’il s’est produit dans le développement du genre humain de profonds changements, et que ces changements ne sont point arrivés à leur terme. Notre nature est mal adaptée aux conditions ; elle doit se transformer elle-même à mesure que les conditions doivent changer, et l’anomalie constatée disparaîtra un jour ; elle n’a rien de nécessaire ni de permanent. Un moment viendra où l’homme n’aura qu’à suivre sans effort l’impulsion du plaisir.

Nous pouvons déjà nous convaincre, et les exemples abondent, qu’il y a entre le plaisir en général et certaine exaltation physiologique, entre la douleur et la dépression physiologique, d’étroites relations. Négliger ce fait, c’est s’exposer à juger mal la valeur morale des actes. Les moralistes ne considèrent le plus souvent que les effets indirects des actes ; ils blâment, et avec raison, l’étudiant paresseux qui gaspille en pure perte son temps et l’argent de ses parents ; ils n’ont que des éloges, et c’est une faute, pour celui qui travaille avec excès, se rend malade et devient tout aussi inutile que le précédent à la société. Il faut avant tout tenir compte de ces effets directs, biologiques, de nos actions, et renoncer à cette opinion vraiment anti-religieuse que nous sommes organisés de telle sorte que les plaisirs sont funestes et les peines avantageuses. Il s’est formé, à travers les différentes étapes de l’humanité dans son évolution, des théories morales adaptées à ces différents moments du progrès. Notre théorie actuelle est comme une résultante de ces théories antérieures ; mais, autant que nous pouvons déjà le prévoir, la science morale, au point de vue biologique, doit être « une spécification de la conduite d’hommes associés, qui sont chacun constitués de telle sorte que les diverses activités qui concourent à la