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ANALYSES.e. thiaudière. Notes d’un pessimiste.

nullement cherchée, partant sincère, de la art de qui venait de parcourir, pour la dernière fois, avant l’impression, le manuscrit de ses notes ; mais quatre pages ne s’écrivent pas si vite qu’un auteur ne soit amené cependant à analyser ce qu’il exprime, et elles ne se lisent pas si vite, non plus, qu’un lecteur ne soit amené, d’autre part, à peser ce qui est exprimé : les lecteurs ne seront pas dupes du sentiment accusé, l’auteur ne l’a pas été. Dans le livre, parmi les notes recueillies, celle-ci : « Le chien est un petit moulin à tendresse presque toujours en activité » (p. 78) ; et celle-ci encore : « Pour quiconque n’a pas de mère, il est encore un moyen aussi sûr d’être aimé, c’est d’avoir un chien, mais il n’en est pas d’autre » (p. 198) ; or, ces deux notes ne seraient pas des phrases seulement, elles constitueraient des sortes de documents, — le mot est usité, — documents relatifs à la personne de M. Thiaudière, — il a pu ne pas éprouver, en effet, la vérité de cette proposition : le bonheur consiste moins à être aimé qu’à aimer, — que sa longue [dédicace] resterait pourtant encore la marque d’un assez mauvais goût.

M. Thiaudière, qui a publié des volumes de poésies, des romans, des pamphlets, une comédie, s’est apparemment essayé à la philosophie pessimiste, ou quelque chose d’approchant ; il a voulu suivre la mode Nous disons : quelque chose d’approchant, car il ne devine pas ce qu’est un pessimiste ; « c’est, dit-il, un homme absolument dégoûté, — en philosophie, de toutes les doctrines, — en politique, de tous les partis, — en littérature, de toutes les écoles, — en anthropologie, de tous les hommes et de lui-même, — en amour, de toutes les femmes, — religion, de tous les dieux, » (p. 37) ; mais non, cet homme-là est seulement un misanthrope, un atrabilaire ; le mépris de tous les hommes, et le dédain pour tout ce qui les préoccupe, ce n’est point ce qui fait le pessimiste, voire le pessimiste amateur. Et nous disons qu’il s’est apparemment essayé à ce qu’il a tenu sans doute pour de la philosophie ? en apparence, pour lui ; à nous, il n’y paraît guère. « Le pessimisme est le propre de ces esprits maladifs auxquels leur état morbide communique une merveilleuse perspicacité, et pour tout dire en un mot, la seconde vue véritable des choses humaines » (p. 45). Il faut que l’esprit de M. Thiaudière ne soit qu’imaginairement maladif, car aucune perspicacité, merveilleuse ou non, ne lui a été communiquée. M. Thiaudière se sait l’esprit sain, et, à défaut de seconde vue, il a seulement voulu voir, voir bien, et il a regardé, et il a observé, et il a médité ? nous croyons plutôt qu’il s’est contenté d’écouter, d’écouter parler n’importe qui, tant sont communes les pensées qu’il a pris soin de recueillir.

Il les a rassemblées sous dix chapitres : l’éternel, l’être éphémère, la société, la foi et la raison, la vérité, la fortune, l’art et la science, la politique, l’amour, la vie et la mort.

« Ce qui existe indubitablement c’est l’Univers, animal éternel et infini, éternellement et infiniment égoïste, qui se repaît de sa propre substance, jouit et souffre à la fois, de telle sorte que la jouissance et