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ANALYSES.h. romundt. Réforme de la philosophie.

car l’expérience y sert seulement à éprouver le principe fondamental, elle ne l’engendre pas, en dépit de Hume, qui voulait s’en tenir à la raison (Vernunft) et refusait les formes de l’entendement. Kuno Fischer est vertement tancé, chemin faisant, pour s’être mépris sur la pensée de Kant, au point de dire que le maître se serait proposé de rechercher comment naît l’expérience, tandis qu’il s’est occupé seulement de reconnaître ce qui se trouve dans l’expérience et s’est ainsi acheminé, par la refonte de la doctrine des catégories d’Aristote, vers la réforme définitive de la métaphysique. La raison, en effet, n’a plus désormais à créer des concepts, elle se borne à les mettre en ordre. Une théorie de l’attraction, par exemple, ne se rapporte pas à l’objet, mais à l’usage de la raison. L’erreur de la métaphysique a été d’ignorer cela, et tous les principes d’explication proposés par elle, l’eau de Thalès ou le feu d’Héraclite, aussi bien que la volonté de Schopenhauer ou l’inconscient de M. de Hartmann, sont des hypostases, quand il faut se contenter de donner des hypothèses.

Les états internes de la représentation, du sentiment, du vouloir nous sont fournis par la sensation, tout comme les phénomènes du monde intérieur. Il n’est pas interdit pourtant à la raison de reconnaître un objet qui y serve de soutien. Le moi persiste à travers ses états variables ; il me donne l’idée d’un « inconditionné », et du pur moi sort une pure âme, qui est la simple révélation d’un acte supérieur. Le sujet absolu ne se rencontre pas dans l’expérience, on l’entend bien ; le moi n’est pas un concept, il n’est que la dénomination de l’objet du sens intime ; il n’est pas connaissable, mais il est directement « pensable », et la métaphysique est obligée, afin d’y atteindre, de se séparer entièrement de la mathématique et de la physique, dont la critique préalable a reconnu le caractère expérimental. Si la métaphysique reste, au moindre degré, une philosophie de la nature, elle se réduit à une apparence de science, aussitôt qu’on y applique la mesure des sciences vraiment objectives.

Abandonnons donc toute représentation réelle des idées pures, pour nous informer seulement, avec Kant, si ce qui est subjectivement donné comme satisfaisant et nécessaire est objectivement possible.

La preuve de la liberté, exigée d’abord par la raison, ne s’obtient pas sans difficulté. On se heurte à cette antinomie, que cela est « déterminé » dans la nature, qui est « cause » dans la liberté, et l’antinomie reste insoluble, tant que les objets sensibles restent chose en soi et les lois naturelles lois des choses en soi. Elle tombe, elle n’est plus qu’apparente, si nous refusons ce caractère essentiel aux objets sensibles. Dès lors, la liberté et la nécessité appartiennent à une même chose, ici en soi, et là phénoménale ; l’ « incondition » est le caractère des choses non plus telles que nous les connaissons, mais telles que nous ne les connaissons pas, et la liberté, en définitive, apparaît comme possible. La critique se borne à poser la pensée de la liberté, et elle crée ensuite une place pour elle dans le monde sensible.