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JOLY.la sensibilité et le mouvement

Très certainement celui qui éprouve une douleur éprouve une douleur. Ainsi présentée l’assertion est irréfutable. Mais n’est-ce pas une vraie pétition de principe que nous trouvons dans l’hypothèse sur laquelle elle s’appuie ? On parle de brûlure, de pression, d’écrasement… Toutes les douleurs liées à ces accidents supposent, comme les autres, une fonction gênée ou arrêtée, conservant sa tendance, donc avec elle un effort réel et une obscure représentation de ce si qu’elle cherche. Si tout effort de poussée ou de résistance s’arrête, la fonction meurt avec le tissu qui lui servait d’instrument, la douleur cesse par là même. Supposer une brûlure continue, c’est supposer une reconstitution également continue de l’organe destiné à être détruit, un recommencement perpétuel de la tendance destinée à être combattue, donc toujours un conflit et toujours le sentiment d’une différence qui, même avant d’être perçue, existe positivement. La douleur pourrait toutefois disparaître dans un cas facile à expliquer. Si l’organe réussissait à opérer une sorte d’ajustement, comme ceux qui nous permettent de supporter la pression de l’atmosphère, d’être emporté par le mouvement de la planète ou de ne sentir que très légèrement la combustion perpétuelle que la nutrition entretient dans nos tissus, alors la douleur ferait place à l’indifférence. Mais entre ces deux termes extrêmes, extinction de la fonction ou ajustement parfait de la fonction, est le domaine de l’effort et du conflit ; c’est aussi et par cela même celui de la sensibilité[1].

La sensibilité n’est donc nullement cet état absolu que l’on cherche. On dira que le mouvement l’est moins encore ? Mais qui nous oblige à nous arrêter au mouvement proprement dit, au lieu de remonter jusqu’à la force, ou, plus simplement, jusqu’à l’activité dont il émane ? Quoi qu’il en soit de cette question ultérieure, ce que nous voulons retenir ici, c’est que la sensibilité suppose une motricité qui la précède et qui lui prépare, pour ainsi dire, ses conditions.

Mais il faut entrer ici dans plus de détails et insister sur des distinctions qui, quoique fort simples, semblent avoir été assez souvent oubliées.

Le mouvement a des formes variées, puisqu’il met en jeu plusieurs facteurs qui peuvent agir isolément ou agir ensemble, être lésés ensemble ou séparément. Vient d’abord l’irritabilité musculaire, puis l’excito-motricité des nerfs ou l’action réflexe, puis le mouvement coordonné qui est ou instinctif ou volontaire. La première espèce de mouvement peut se manifester indépendamment de la seconde, et les deux premières peuvent être indépendantes de la troisième ; mais la

  1. Voyez Le Plaisir et la Douleur, ch.  v et ix.