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tions par imitation : elle pleure, rit, prend un air fâché, etc., dès que je pleure, que je ris, que je prends un air fâché.

Enfin elle ne continue pas d’elle-même un mouvement indiqué. Je lui dis de moudre le café ou de pétrir de la pâte ; elle fait le mouvement, mais s’arrête bientôt, si je ne réitère l’ordre ou la suggestion.

Tels sont les caractères de l’hypnotisme de J... Ils diffèrent, comme on le voit, en beaucoup de points de ceux que présentent et m’avaient présentés les sujets de M. Charcot et de ses élèves ; en plusieurs points aussi, de ceux des sujets de l’école de Nancy d’après l’énumération qu’en fait M. Beaunis.

V

À mesure que j’avançais dans mes observations, ces différences me frappaient et m’intriguaient. Mais ce fut bien autre chose quand, le 22 février, je vis chez M. Ch… deux de ses sujets. Une fois pris, comme ils disent, ils ne quittent pas des yeux le magnétiseur, et pour peu que celui-ci fasse mine de ne plus vouloir les regarder, ils lui bourrent la poitrine de coups de poing formidables. Ils entrent en fureur contre tous les obstacles physiques ou vivants qui s’interposent entre eux et lui ; ils ne voient que lui, n’entendent que lui, et ne se laisseront réveiller que par lui, et encore pourvu que l’envie ne leur vienne pas de mettre opposition à leur réveil : de vrais sauvages.

Conformément à ce qui est dit dans l’Iconographie[1], M. Ch… peut transmettre leur regard à une autre personne ou à un autre objet, et il peut le reprendre, mais seulement par le procédé dont il s’est servi pour le transmettre et non par un autre. C’est ainsi que s’il a passé leur regard à l’aide de son index placé d’abord au-devant de ses yeux, puis dirigé vers les yeux d’une autre personne, il ne le ressaisira qu’en faisant le geste inverse. J’en donnerai plus loin un exemple.

Le visage des sujets est comme pétrifié — tel devait être le masque de la Gorgone, — l’œil est d’une fixité horrible — ainsi je me représente celui de la pieuvre guettant une proie. La physionomie est stupide et bête ; le corps, sans souplesse ; la voix, rauque et inarticulée ; les mouvements, brusques et violents ; la force déployée, étonnante. Ce sont des gamins de moins de quatorze ans, dont l’un est d’apparence chétive, et un homme serait dans l’impuissance de les

  1. T. III, p. 180.