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DELBŒUF.l’éducation et l’imitation dans le somnambulisme

M. Ch… l’endort et lui intime la défense deselaisser endormir par moi. B répond plusieurs fois à cette injonction par un non formel. De guerre lasse, il finit cependant par dire oui. Réveillé, je l’ai immédiatement rendormi. Mais, chose curieuse, quand j’ai voulu le réveiller, il a résisté. Le souffle et la parole restèrent sans effet. Je songeai alors à le distraire ; je lui parlai de différentes choses à mi voix, selon mon habitude ; il me répondait à sa façon (d’une voix mal articulée), puis à un certain moment, je l’ai éveillé sans peine par la parole.

La scène avait, comme on le voit, présenté quelques particularités intéressantes. C’est pourquoi je voulus la recommencer avec variations. M. Ch… endort B. Il s’agit de savoir s’il se laissera éveiller par moi.

Mes tentatives échouent d’abord. M. Ch… pense que je ne réussirai pas, mais ai confiance dans le pouvoir de l’association des idées. Je caresse B, qui semble éprouver à mon contact un vif plaisir ; il appuie sa figure contre ma main à la façon d’un chat ; je lui lève les bras, ils retombent ; il est en catalepsie. À ce moment je m’écrie : Il est à moi ! En effet, il s’est réveillé à la simple parole.

On peut, comme on le voit, détourner l’attention du somnambule. De ces faits, il résulte encore qu’on peut, chez lui, modifier même de vieilles habitudes, à moins qu’on n’ait soin de les renforcer de temps à autre.

Dernière expérience. Endormi, je lui suggère d’aller donner des coups de poing à M. Ch… Je croyais qu’il n’irait pas. Je me trompais. Je lui fis alors une morale : il n’aurait pas dû frapper un ami. — « Vous me l’aviez dit. — Il ne faut pas toujours faire ce qu’on vous conseille ». Quelques instants de silence. « Allez donner un coup de poing à M. Ch… » B se lève d’un air agressif, puis se rassied sans mot dire ; sa figure exprime la ferme résolution de ne plus bouger ; et effectivement il ne bougea plus.

On peut maintenant, sans trop de témérité, je crois, avancer que la contradiction signalée par M. Beaunis est expliquée et levée.

Il résulte des expériences qui viennent d’être exposées, que les hypnotisés sont éminemment faciles à conduire par l’exemple, par la parole, par le simple désir. Qu’y a-t-il à cela d’étonnant, puisque la plus légère indication leur donne des suggestions d’une précision et d’une force étonnantes’? L’existence de plusieurs écoles d hypnotisme n’a donc rien que de naturel et de facilement explicable. Elles doivent leur naissance à l’action réciproque des hypnotisés sur les hypnotiseurs. Seulement leur rivalité n’a aucune raison d’être : elles sont toutes dans le vrai. Jamais on ne pourra appliquer à meil-