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NOEL.l’idée de nombre et ses conditions

Telles sont les propriétés essentielles du nombre. On pourra sans doute appeler nombres des collections qui ne les posséderont pas toutes, mais on devra reconnaître que c’est là une extension du terme ; que les démonstrations de l’arithmétique ne s’appliquent plus rigoureusement aux concepts ainsi formés ; que, par suite, ces concepts diffèrent du celui du nombre tel qu’il figure dans cette science.

Nous nous proposons de rechercher ici les conditions psychologiques de la conception du nombre. La question n’est pas nouvelle et les philosophes modernes l’ont souvent traitée. La solution que nous en donnons n’est pas non plus nouvelle de tout point. Nous croyons cependant que tout n’a pas été dit sur ce sujet ; que même toutes ses difficultés n’ont pas été aperçues. En un mot, malgré les nombreux travaux qu’a suscités jusqu’ici l’idée de nombre, certains de ses aspects nous ont paru mériter un nouvel examen. Il nous a semblé en particulier que ses rapports avec l’idée d’espace ont été jusqu’ici trop négligés. Ces rapports, à notre avis, sont essentiels et l’idée de nombre est inséparable de la représentation de l’espace. Mais, quelle que soit la valeur de cette opinion, nous n’avons pas cru inutile d’attirer sur la question l’attention des lecteurs de cette Revue.

Le nombre n’est pas une donnée immédiate de l’expérience. Aucun groupe d’objets réels ne répond rigoureusement à la définition que nous en avons donnée. Aussi les règles de l’arithmétique appliquées aux choses concrètes ne conduisent-elles jamais qu’à des résultats approchés. C’est un point universellement admis. Beaucoup de philosophes n’en soutiennent pas moins que cette idée a une origine purement empirique. Elle est pour eux un simple extrait des expériences concrètes, un résidu que laissent ces expériences après certaines éliminations.

Cette thèse est loin d’être absolument fausse, mais elle renferme une équivoque. Sans doute si, considérant un groupe d’objets, je fais abstraction des caractères par lesquels ces objets diffèrent l’un de l’autre, ainsi que de leur mode de groupement, les caractères du groupe que ces éliminations laisseront subsister seront purement numériques. Mais il reste à rechercher comment ces éliminations sont possibles. Répondre qu’elles sont des effets naturels de notre faculté d’abstraire, c’est ne pas entendre la question. Ce que nous demandons, en effet, c’est pourquoi cette faculté s’exerce précisément dans cette direction déterminée. Le travail d’abstraction n’est plus ici simple, mais complexe. Pour penser le groupe comme nombre, il ne suffit pas d’éliminer d’un coup, soit certains caractères du groupe,