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NOEL.l’idée de nombre et ses conditions

mieux est sans doute de ne pas chercher à la définir. Il y a lieu néanmoins de rechercher d’où vient aux objets ce caractère ou comment le contenu de la conscience s’individualise en objets distincts.

À notre avis cette individualisation est l’effet d’une propriété irréductible de l’attention. Si nous pensons l’unité c’est que nous la faisons, c’est que notre attention a le pouvoir de découper dans la totalité indéterminée de nos états psychiques simultanés certaines parties auxquelles elle confère arbitrairement une sorte de cohérence. La forme de l’unité est ainsi en nous-mêmes non pas, il est vrai, en tant qu’idée ou prototype, mais en tant que pouvoir de faire une telle ou telle portion du contenu donné dans la conscience. Sans doute la constitution même de ce contenu peut et doit, au moins au bout d’un certain temps, nous induire à faire de cette forme un usage déterminé. Si nous en venons à ériger en objets distincts telle ou telle portion de ce contenu, nous avons pour cela des raisons. Mais si ces raisons expliquent l’emploi particulier que nous faisons de notre faculté, elles n’expliquent pas et ne sauraient expliquer son existence même. L’unité n’est pas, et ne saurait être une donnée de l’expérience.

Sans doute l’ensemble des sensations qui constituent pour nous la perception ou la représentation d’un objet nous semble actuellement former une totalité cohérente. Mais ce n’est évidemment pas un fait primitif. Un être qui pour la première fois voit un oiseau sur un arbre n’a aucune raison de distinguer l’oiseau de l’arbre. Primitivement nos sensations se mêlaient dans un chaos informe que nous avons dû apprendre à débrouiller. C’est grâce aux lois de l’association que nous avons pu y parvenir. À force de se présenter ensemble certaines sensations en sont venues à former des groupes définis et cohérents ; quand un de ces groupes nous est actuellement donné nous pouvons désormais le reconnaître facilement et le dégager sans effort de la masse indistincte des sensations concomitantes. Mais pour que l’association ait pu produire ce résultat, l’attention a dû lui venir en aide ; à elle seule l’association ne pouvait suffire. L’association est bien, il est vrai, une synthèse des sensations associées, mais cette synthèse, en tant que telle, échappe entièrement à la conscience. Elle a pour effet direct et exclusif la reproduction simultanée de certaines sensations, mais ces sensations, quoique reproduites en même temps, se confondent fatalement dans la cohue d’états psychiques qui forme à chaque instant le contenu de la conscience. Aucun lien perceptible ne les unit ; aucun signe commun ne leur permet de se rallier. Il n’y a d’autre rapport entre elles que la nécessité où elles sont de réapparaître ensemble. Or, de cette nécessité, la con-