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STRICKER.de la parole et des sons intérieurs

talent musical, les images auditives se conservent très longtemps. Compositeurs et chanteurs sont cependant capables de saisir, outre ces images auditives, les images motrices de la mélodie.

M. Stumpf s’est opposé à cette manière de voir dans sa « Tonpsychologie » et s’est, entre autres arguments, servi d’une lettre que lui a écrite l’anatomiste Henle de Göttingue.

« M. Henle, aussi bien connu comme anatomiste que comme psychologue, et, en outre, musicien de talent, a eu la bonté de m’écrire : Dans la question que vous me posez concernant les mouvements musculaires qui accompagnent les représentations musicales, mes expériences s’accordent tout à fait avec les vôtres. Seulement, quand je veux me rendre compte du ton dans lequel est écrit un morceau de musique, je recours volontairement aux représentations des efforts que je devrais faire pour chanter ou, pour être plus exact, entonner le ton cherché. Alors je sens même parfois, quand il s’agit de sons élevés, mon larynx s’élever. Pour les mélodies reproduites volontairement, comme pour celles qui me bourdonnent involontairement aux oreilles, l’idée d’une reproduction musicale est entièrement exclue. S’il s’agit de récentes réminiscences, je les entends, il est vrai, avec les sons des voix ou des instruments par lesquels je les ai perçues objectivement. D’ordinaire, cet attribut manque ; les mélodies se jouent d’une manière abstraite qui ne rappelle aucun timbre. » C’est ainsi que j’ai consulté d’autres individus, bons musiciens, et que j’ai, d’eux tous, reçu la même réponse, excepté une demoiselle, pianiste de talent, qui m’a dit qu’elle chantait toujours tout bas les mélodies.

Quand l’étude que j’ai citée en commençant a dû être traduite en français, j’ai ajouté au texte originaire un chapitre sur les représentations musicales, où je dis que les vues que l’anatomiste de Göttingue avaient exprimées étaient très favorables à ma théorie, attendu qu’en reconnaissant que les représentations d’une mélodie ne dépendent pas nécessairement du souvenir des images auditives, Henle avait confirmé la première base fondamentale de mon assertion. À la vérité, disais-je, il existe encore une divergence entre moi et M. Stumpf. Je soutiens que les représentations de mélodies détachées des images auditives sont « motrices » de leur nature, tandis que Stumpf et Henle les déclarent « abstraites ». Puis, je cherchai à prouver que leurs représentations musicales abstraites ne sont autre chose que des représentations motrices. Maintenant M. Stumpf dans la note citée plus haut s’élève formellement contre mon assertion. « D’abord, dit-il, on ne peut savoir aujourd’hui ce que le célèbre anatomiste (mort depuis) entendait par « abstraites » ; puis M. Stricker m’applique non