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société de psychologie physiologique

pareille circonstance. Il m’assura qu’il éprouvait ce phénomène sous la plus légère influence et que, pendant une discussion, il sentait à chaque instant la paume de sa main devenir humide. La plus légère émotion produisait le même effet. Il m’assura cependant qu’il s’effrayait très difficilement, que la surprise la plus vive ne le faisait jamais tressaillir et que ses émotions se trahissaient très exceptionnellement par des gestes. La sueur palmaire en est le seul indice extérieur extrêmement fréquent chez lui. Il a observé aussi que non seulement ses mains, mais encore d’autres parties du corps et notamment la région lombaire sont le siège d’une transpiration passagère sous l’influence des excitations cérébrales les plus banales. Peut-être y a-t-il lieu d’établir un rapprochement entre la fréquence de ce phénomène chez M. B… et son impassibilité motrice, si l’on peut s’exprimer ainsi. Chez lui, le courant nerveux centrifuge, consécutif à une émotion ou à une simple image mentale, ne produisant aucune contraction musculaire, produirait d’autant plus facilement un effet thermique ou vaso-moteur aboutissant à la sueur.

Quand les courants nerveux centrifuges consécutifs à des émotions ou à de simples images mentales ne sont suivis que d’effets de ce genre, ils n’ont d’utilité que comme moyens de décharge cérébrale. Mais lorsqu’ils déterminent presque incessamment des contractions des muscles de la face, comme chez l’homme et les singes, ou des mouvements de la queue, comme chez le chien, ils ont en outre une utilité au point de vue de l’expression mimique. Les mouvements d’expression constituent plus spécialement la représentation externe de l’idéation par images, de même que le langage articulé traduit extérieurement l’idéation plus abstraite. Les images mentales concrètes seraient suivies de courants centrifuges plus subits, souvent inconscients, et produisant des effets divers tels que les cris, les exclamations involontaires, les contractions des muscles de la face et autres muscles servant à l’expression mimique, des phénomènes vaso-moteurs (rougeur, pâleur), des mouvements fibrillaires, des effets thermiques dont la sueur palmaire, dans les circonstances citées plus haut, ne serait qu’un résultat, et probablement d’autres effets encore inaperçus.

Ces réflexes d’origine cérébrale constituent, pour la plupart, un véritable langage inférieur correspondant à l’idéation inférieure. Les animaux ne possèdent peut-être pas d’autre idéation que celle par images concrètes comme ils ne possèdent pas d’autre langage que l’expression mimique ; mais ils paraissent utiliser ce dernier mieux que nous qui le négligeons parce que nous en possédons un plus parfait. Le langage articulé correspondrait à une zone cérébrale plus élevée que celle des images concrètes et dans laquelle les courants de réaction centrifuge se produiraient moins subitement, plus volontairement, c’est-à-dire plus consciemment[1], et constitueraient des résultantes de courants psychiques plus compliqués.

L. Manouvrier.
  1. Voir : La fonction psychomotrice. (Revue philosophique, mai et juin 1884.)