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que bien peu contesteront malgré la tendance aujourd’hui dominante à se détourner des questions insolubles. La théodicée n’est plus en crédit, M. Bertauld le sait mieux que personne, et c’est pour expliquer ce discrédit, qu’il se livre à une vaste enquête sur les preuves de l’existence de Dieu.

Mathématicien distingué, l’auteur de cette Introduction ou plutôt de cet essai de métaphysique réserve aux seuls mathématiciens l’emploi du raisonnement déductif. Il en reproche l’usage à Spinoza, à Hegel, à Descartes, en un mot à tous ceux qui ont entrepris de démontrer leur système. Ce reproche, que d’autres ont fait avant M. Bertauld, et dont les arguments ont fixé parfois l’attention des critiques, est-il mérité ? N’est-il pas évident que le génie métaphysique est essentiellement déductif ? C’est donc à la métaphysique que s’en prend M. Bertauld ?

Point. La métaphysique reste à ses yeux ce qu’elle était aux yeux d’Aristote, la science première, celle qui domine toutes les autres sciences. Mais elle ne peut se constituer qu’après elles. Or celles-ci ne le sont pas encore. Un vaste champ reste abandonné à l’hypothèse. Donc, a fortiori, la science métaphysique devra faire une large part à l’hypothèse. On le voit, M. Bertauld entend rapprocher la science métaphysique des autres sciences.

En a-t-il le droit ? Toute science est dogmatique ; alors c’est le dogmatisme qui va triompher en métaphysique. D’où vient donc que M. Bertauld se montre si accommodant envers elle et qu’au lieu de lui demander des preuves démonstratives, il se contente d’un ensemble de raisons, suffisantes pour motiver une conviction ? C’est n’être pas exigeant. Mais ne lui demander que cela, n’est-ce point lui contester ipso facto le droit de se présenter comme science ? — Le physicien croit à l’éther comme le métaphysicien à l’immortalité de l’âme ! — D’accord ; mais ne faut-il pas distinguer entre une croyance autorisée par des faits et une foi commandée ou justifiée par des motifs d’ordre moral ? Le physicien qui croit à l’éther y croit une fois pour toutes et jusqu’au jour où des faits nouvellement découverts lui sembleront incompatibles avec le maintien de sa croyance. La croyance à l’immortalité de l’âme est une conviction qui repose elle-même sur des convictions. Or, l’intensité d’une conviction est sujette à des mouvements de hausse et de baisse, et cela sans que les faits sur lesquels on la fonde aient changé. Les arguments de la physiologie matérialiste contre la vie future ont été pressentis par Lucrèce : les raisons de l’affirmer ou de la nier sont aujourd’hui sensiblement les mêmes qu’autrefois, et selon nos dispositions d’esprit, variables d’un jour à l’autre, elles nous semblent plus ou moins persuasives.

M. Bertauld n’aurait-il pas été dupe d’une équivoque ? Aurait-il négligé de s’apercevoir qu’il est certaines croyances scientifiques, nullement incompatibles avec le dogmatisme, et qu’elles diffèrent profondément des convictions morales et religieuses ?.