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ANALYSES.p. andré. La vie du R. P. Malebranche.

de la modération de son maître, nous fournit lui-même un exemple bien caractéristique des qualités opposées à la suite de la publication de lettres qu’Arnauld venait d’écrire contre lui au moment où il mourut, Malebranche composa un petit traité qu’il intitula Contre la prévention et où il prétendit démontrer qu’on a tort d’attribuer à Arnauld les ouvrages parus sous son nom et dirigés contre lui Malebranche. Arnauld étant un homme plein d’équité, de bonne foi, d’esprit et de vertu, on ne saurait, en effet, lui imputer des écrits dont l’auteur ne peut être qu’un chicaneur outré, un citateur infidèle, un faiseur d’écarts fort malins, etc. Il est vraiment difficile de ne pas trouver un peu vive une plaisanterie de ce genre, dirigée contre un mort : il est vrai, hâtons-nous de le dire, que Malebranche hésita avant de lui donner une demi-publicité. Tout autre, du reste, était sa conduite quand sa personne seule, et non ses doctrines, était en jeu. La première édition des Conversations chrétiennes, parue sans nom d’auteur, étant épuisée, un ecclésiastique de province vint s’offrir à Malebranche pour en faire faire une seconde édition, puis lui soumit une lettre destinée à servir de préface. Malebranche, « encore qu’il ne la trouvât pas fort bonne, lui permit de la mettre à la tête de son livre, de peur de lui déplaire. Mais il ne laissa pas d’être un peu étonné quand il apprit que son ouvrage paraissait à Lyon sous le nom de l’abbé de Vaugelade, qui en recevait les compliments, sans les vouloir partager avec personne. Voyant toutefois que la vérité n’en souffrait point, et que son livre, quoique sous un étendard étranger, lui faisait chaque jour de nouvelles conquêtes, il demeura dans le silence. » Un libraire de Bruxelles ayant ensuite publié une troisième édition avec la mention : par l’Auteur de la Recherche de la Vérité, Vaugelade n’osa s’inscrire en faux. André remarque que cet imposteur était binôme, c’est-à-dire avait un nom pour Paris et un autre pour la province : Littré n’a pas noté ce sens du mot binôme, bien que parlant du terme bas-latin binomius, qui a cette acception.

Nous avons dit que M. l’abbé Blampignon n’a pas toujours tiré du texte du P. André tout le parti possible : nous en donnerons deux exemples. Parlant des conférences de l’abbé de Cordemoi, qui avaient lieu chez Mlle Vailly, nièce de Malebranche, il passe sous silence un détail bien cartésien : « Il s’y trouvait aussi, dit André, de célèbres anatomistes qui disséquaient tantôt un œil, tantôt une oreille et d’autres parties, etc. » Voici, d’autre part, une scène tragi-comique, qui perd bien de sa saveur sous la plume de M. Blampignon : nous sommes malheureusement obligé de l’analyser. Fénelon ayant, dans son traité de l’Existence de Dieu, qui fut imprimé à son insu, dit André, développé avec de fort beaux traits les preuves de Descartes et de Malebranche, les jésuites, qui s’appuyaient sur ce prélat, se trouvèrent fort embarrassés, étant engagés dans une véritable guerre contre Malebranche. Ils imaginèrent alors de faire écrire par le P. de Tournemine une préface qu’ils firent insérer en tête d’une seconde édition du traité de Fénelon. Il y est dit que l’auteur ayant proposé dans les articles précédents des preuves uni-