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le fait qu’on raconte que Mozart avait travaillé à ses compositions en sifflant. Le compositeur Goldschmidt m’a d’ailleurs aussi certifié qu’il composait de même.

C’est ainsi que j’ai prié M. Strauss de lire un air en musique (écrit) et de faire attention s’il n’éprouverait pas quelque chose au larynx ou aux lèvres. La réponse que ce maître me donna fut absolue. « C’est vraiment remarquable, me dit-il, ce qui se passe dans mes lèvres, cela saute, j’y sens toute la mesure ! » Alors il mit la musique (écrite) de côté, le sentiment des lèvres avait disparu. Il recommença à lire, aussitôt le sentiment des lèvres revint.

Persuadé de la réalité du fait, je priai M. Strauss de penser à une certaine mélodie qu’il n’avait pas entendue depuis longtemps, qu’il avait, si possible, apprise dans son enfance, et de faire attention s’il se la représentait avec le timbre d’un instrument. La réponse fut absolument négative. Il s’en était représenté une, mais sans aucun timbre ; il n’avait perçu que le sentiment des lèvres. Cette assertion était d’autant plus remarquable que M. Strauss n’avait jusqu’alors eu aucune idée de ce sentiment labial, c’est-à-dire qu’il n’y avait jamais été rendu attentif.

Nous n’avons donc évidemment pas affaire à des sentiments qui coopèrent pour ainsi dire à l’exercice d’une profession, comme ceux des doigts chez un violoniste, M. Strauss n’étant pas habitué à siffler.

Ce mouvement des lèvres ne peut pas d’ailleurs être considéré comme simple habitude, attendu qu’on ne pourrait comprendre comment cet artiste aurait pu la prendre. Enfin, il ne paraîtra pas admissible de le considérer comme accessoire, car il est absolument invraisemblable que, quand l’artiste compose, il se livre au travail compliqué des lèvres sans que cela lui soit nécessaire.

De tous côtés il est concédé qu’on peut se représenter la hauteur et le rythme des sons qui n’ont proprement pas de timbre par l’innervation des muscles. Nous ne connaissons pas d’autre appareil nerveux par lequel cela soit possible. Quel motif aurions-nous d’admettre que l’appareil nerveux par lequel on peut se représenter les sons, et qui, comme il est prouvé, agit activement pour la représentation des sons « sans timbre », soit accessoire ?

Autre remarque. Il y a des individus qui se représentent les sons sans timbre par le sentiment musculaire du larynx, et d’autres par le sentiment musculaire des lèvres. J’ai déjà avancé dans mon étude sur le langage qu’il y en a peut-être qui peuvent parvenir aux représentations des sons sans timbre au moyen des muscles du cavum tympani. Hensen et Bockendahl ont fait sur le tensor tympani du