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société de psychologie physiologique

résultant de la suggestion, mais non pas au point que l’on ne puisse en retrouver la trace.

De ce fait, il sort une conclusion qui diffère un peu de celle des expérimentateurs, bien qu’en la confirmant. Comme je l’avançais il y a trois ou quatre ans dans le journal la Graphologie, les médiums ne peuvent se targuer du changement d’écriture pour affirmer leur théorie, mais ce n’est pas uniquement parce que la variabilité de la personnalité est suffisante pour expliquer l’hypothèse de la variété des personnes. Le médium écrivain a la prétention d’écrire sous l’inspiration directe d’une personne évoquée, de n’être en quelque sorte qu’un porte-plume. Si cette prétention était justifiée, non seulement la variabilité d’écriture devrait se produire et comporter les signes graphiques qui se trouvaient dans l’écriture de l’esprit avant sa désincarnation, mais encore on devrait avoir un graphisme où l’idiosyncrasie du scripteur ne laisserait aucun vestige. Jusque-là on n’a devant soi que des phénomènes plus ou moins sincères d’auto-suggestion. Cette simple remarque ne détruit, au surplus, en rien les importantes observations de MM. Ferrari, Héricourt et Richet, qui ont plus fait pour la graphologie, en quelques pages, qu’on ne ferait souvent en un gros volume. L’hypnotisme n’est pas, du reste, le seul procédé à employer pour faire de la graphologie expérimentale. Dans le courant de l’année 1883, j’expérimentais sur moi-même l’action de l’opium et du haschisch, que je prenais, l’opium en pilules ou laudanum, et le haschisch sous la forme résineuse. Or, dans toutes les notes prises au jour le jour, alors que j’étais sous l’influence de ces drogues, mon graphisme subissait une appréciable modification.

Les deux substances, le haschisch surtout, semaient dans mon écriture les signes de satisfaction intime, de vanité, et remplaçaient l’altruisme par l’indifférence du prochain. L’opium avait, en outre, la vertu d’y jeter une lucidité énorme, principalement lorsque j’en étais arrivé à ce que j’appelais la désincarnation des voix. Je n’ai pas usé une seule fois d’opium sans avoir vu se reproduire ce phénomène, que je n’ai trouvé mentionné dans aucune étude, et qui se déroulait invariablement de la manière suivante. J’étais au café, par exemple, des consommateurs m’entouraient, causaient entre eux. Peu à peu, les voix semblaient s’isoler des parleurs. Je voyais et sentais mes voisins frappés d’aphonie ; leurs conversations partaient en l’air, des murs, du plafond, légèrement confuses, mais absolument indépendantes des causeurs. À ce moment-là, si je traçais quelques mots, ils s’espaçaient largement, et les traits réduits à leur plus simple expression baignaient abondamment dans le vide. Je dois dire que cette lucidité excessive m’a toujours paru résulter de la fatigue cérébrale, et ne comporter aucun élément actif.

Je n’ai pas renouvelé ces expériences et je n’ose pas en tirer de conséquences, mais, en tout cas, elles peuvent servir de point de départ à des investigations fécondes.

C. Hoctés.