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sur parchemin, qui ont joué un rôle capital dans l’histoire de l’art. Notre siècle est devenu trop savant et trop encyclopédiste pour que nous ayons la finesse de perception des harmonies colorées qui se retrouve si fréquemment chez les peuples primitifs, tant qu’ils ne sont pas en contact avec les Européens. Cette grossièreté de notre goût apparaît d’une manière bien frappante dans les monuments pseudo-grecs élevés en si grand nombre depuis le moyen âge et qui sont à l’art grec ce qu’est l’eau-de-vie de betterave au vin de Bourgogne. Aujourd’hui nous ne pouvons plus nous contenter de notre instinct artistique.

Pour raisonner d’une manière utile de l’art ornemental, il faut évidemment pouvoir définir exactement les sensations produites par les différentes parties : dans ce but, on a fait beaucoup de tentatives pour constituer une bonne nomenclature des teintes ; comme je l’ai dit plus haut, il faut pouvoir faire entrer en ligne de compte l’étendue donnée à une couleur, ce qui exigerait la connaissance d’une formule reliant la sensation à l’importance de l’excitation. Je ne vois pas que la loi de Fechner puisse s’appliquer ici utilement, mais la question n’est pas de défendre l’expression logarithmique, mais de montrer qu’elle correspond à un problème réel et dont la solution importe grandement à l’esthétique.

M. Viollet-le-Duc a traité magistralement dans son dictionnaire la question des proportions en architecture ; il a montré quel était le rôle capital attribué par l’art du moyen âge aux méthodes géométriques, non seulement pour tracer les profils et détails, mais aussi pour déterminer les principaux éléments de la construction.

Les Grecs paraissent avoir suivi des méthodes analogues, mais ils semblent avoir donné une importance toute particulière aux rapports numériques. À diverses reprises, on a cherché à remettre ces méthodes en honneur. On a objecté que notre œil était incapable de sentir les rapports de proportion comme notre oreille reconnaît les intervalles musicaux. Il est facile de répondre qu’en musique notre oreille n’est pas d’une justesse mathématique et que l’erreur du comma est toujours supposée ; en architecture, il y a encore un peu plus de liberté pour la détermination des proportions, parce que nous ne sommes pas constitués pour mesurer les dimensions par la simple vue. Il n’en est pas moins vrai qu’il faut généralement peu de chose pour qu’une construction paraisse trop élevée ou trop écrasée ; notre œil est si fin connaisseur dans certains cas qu’un défaut très léger peut déshonorer un portique : il suffit quelquefois d’un très léger galbe dans une colonne pour en changer complètement l’aspect. Lorsque l’étude des chefs-d’œuvre de l’antiquité et du