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CARRAU.la philosophie religieuse de berkeley

vie, de toute sagesse et de toute connaissance (ὑπὲρ πᾶσαν οὐσίαν καὶ ζωὴν ὑπὲρ πᾶσαν σοφίαν καὶ σύνεσιν) ; supérieur à toute négation comme à toute affirmation (ὑπὲρ πᾶσαν καὶ ἀφαίρεσιιν καὶ θέσιν). Sa sagesse est sans raison, sans intelligence ; elle est folie (τὴν ἄλογον καὶ ἄνοῦν καὶ μωρὰν σοφίαν). Pour d’autres Pères, Dieu est sans existence et sans essence (ἀνύπαρκτος, ἀνούσιος), il est plus qu’inconnu (ὑπεράγνωστος). On voit que l’Inconnaissable ne date pas d’hier ; c’est même l’Hyperinconnaissable que nous avons ici. Au commencement de xviiie siècle, Peter Brown[1], depuis évêque de Cork et de Ross, et l’archevêque de Dublin King[2], avaient soutenu une théorie semblable ; selon eux, nous ne connaissons Dieu que par analogie. Mais ils entendaient par là que toutes nos affirmations relativement à la nature et aux attributs divins ne sont au fond que des métaphores et n’expriment aucune vérité.

Le Lysiclès de l’Alciphron insiste sur les conséquences d’une telle doctrine. Pratiquement elle revient à l’athéisme, car qu’est-ce qu’un Dieu dont nous ne savons rien ? Aussi Anthony Collins, désigné dans le Dialogue sous le nom de Diagoras, disait-il que si cette doctrine était généralement admise, il ne se serait pas donné la peine d’inventer sa fameuse démonstration pour prouver que Dieu n’existe pas[3].

Berkeley rétablit donc la vraie signification de la méthode analogique appliquée à la connaissance des attributs divins. Il y distingue deux sortes d’analogie : l’analogie métaphorique et l’analogie propre (analogia proprie facta, dit Cajetan). C’est conformément à la première que nous parlons du doigt de Dieu, de la colère de Dieu, etc. Mais en vertu de l’analogie propre, nous rapportons à Dieu, avec le caractère de l’infinité, les perfections relatives que l’observation constate dans la nature de l’homme. Ainsi la connaissance, la sagesse, la bonté en tant que telles ne renferment pas d’imperfection ; nous avons donc le droit de les attribuer à Dieu « proportionnellement, c’est-à-dire en tenant compte de la proportion à l’infinie nature de Dieu[4]. » Si les mots par lesquels on exprime ses attributs n’étaient pas pris dans leur acception véritable et formelle, il est évident que tout syllogisme employé pour prouver ces attributs, ou, ce qui revient au même, pour prouver l’existence de Dieu, comprendrait quatre termes, et par suite, on ne pourrait rien conclure. »

  1. Alciphr., IV, sect. 22.
  2. Lettre en réponse à l’ouvrage de Toland, Christianity not mysterious, 1699. — Et aussi, Procedure, Extent, and Limits of Human understanding, 1728.
  3. Sermon on consistency of Predestination and Foreknowledge with the Freedom of Man’s Will, 1709.
  4. Alciphr., IV, sect. 16 à 19.